16 AOÛT - ROMAN France

C'est l'histoire d'"une septuagénaire qui s'amourache de son psy". Voilà comment l'écrivaine genevoise Catherine Safonoff résume elle-même, à la fin, l'intrigue de son nouveau livre qui prend place dans la lignée de ses récits d'inspiration autobiographique. Les séances qui s'étalent sur un an et demi avec l'élégant docteur Ursus, consulté pour dépression et longue addiction aux médicaments, sont en effet le fil d'Ariane de ce vrai-faux journal digressif, fait de courts chapitres et placé sous le signe du fantasme amoureux et du métier d'écrire, du désir et de la chute.

Un classique transfert ? Pas vraiment, car l'attraction de la patiente pour son thérapeute apparaît dès les premiers rendez-vous, en même temps que l'évidente certitude de l'impossibilité de la relation. Tout plaît à l'amoureuse : le soin coquet que le docteur porte à sa tenue, son parfum, ses chaussures, son crâne rasé, sa trace d'accent étranger, sa "loquacité affable »... Elle guette, interprète les maigres signes d'une éventuelle réciprocité de l'intérêt, dissèque les moindres modulations dans le timbre de sa voix. Tandis que le médecin, imperturbable et professionnel, ne donne pas prise. Assez vite, elle l'avertit qu'elle écrit sur lui. Puisque c'est sa manière à elle de donner forme et sens à ce qu'elle ressent. Le médecin et l'écriture, deux obscurs objets du désir qui se nourrissent l'un l'autre.

Ces manoeuvres de séduction, ces demandes d'attention presque toujours frustrées, pourraient être pathétiques si une lucidité aiguë et une autodérision mélancolique ne venaient innerver ce tragique ordinaire de l'amour à sens unique. Avançant par ellipses, par associations, Catherine Safonoff sautille entre le grave et le léger, les anecdotes de la vie quotidienne et les souvenirs lourds. Ainsi l'évocation récurrente de la mère, récemment décédée, qui a légué "la supérieure langue secrète des femmes" et l'argent pour vivre de l'écriture, et celle du père, qui s'est suicidé. "Je n'ai jamais écrit que pour me frayer un chemin entre l'absentement de ma mère et la violence de mon père."

Jardiner, cueillir des légumes, se promener avec un baladeur sur les oreilles, écouter la radio, accueillir ses enfants, installer un nichoir dans un arbre, donner des cours à un enfant de 9 ans, arpenter la ville à vélo... La vie entre les rencontres avec le docteur Ursus est faite du temps qu'il fait et de celui qui passe, dans l'appréhension de la fin.

Et malgré les chutes, réelles - pieds pris dans le paillasson, accidents de bicyclette... - et métaphoriques - lapsus, rechute dans le processus de sevrage... -, qui émaillent la thérapie, nulle vieillesse ne parvient à décolorer la verdeur d'âme, à avoir raison de l'éternellement vif désir d'aimer. Et d'écrire, ce qui, pour Catherine Safonoff, forme un tout.

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