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Classes de guerre

Des concours pour mobiliser les écoliers : affiche d’Alain Saint-Ogan, éditée à Lyon, octobre 1940. - Photo Archives départementales de l’Indre

Classes de guerre

Matthieu Devigne explique comment sous Vichy l’institution scolaire a tenu grâce aux enseignants restés fidèles aux valeurs de la République.

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Par Laurent Lemire
avec Créé le 02.02.2018 à 00h37

Le 2 octobre 1939, 5,2 millions d’élèves des écoles maternelles et primaires s’apprêtent à regagner leurs classes. Sauf que 30 000 instituteurs, soit trois cinquièmes des effectifs, sont mobilisés. Cet élément donne une indication de la déstructuration du système éducatif par la guerre. Le régime de Vichy en ajoutera d’autres avec le retour de la religion dans l’enseignement laïc et les lois antisémites.

Dans cette étude innovante tirée de sa thèse soutenue en 2015, Matthieu Devigne donne la parole aux inspecteurs d’académie, eux-mêmes relais de la parole des maîtres et des maîtresses qui ont tout fait pour que l’édifice tienne malgré les coups tordus des ministres et les Allemands qui réquisitionnaient les établissements faisant office pour leurs troupes de petites casernes.

"Idéologiquement, les instituteurs se réclament de la Révolution française", rapporte un inspecteur d’académie en 1942. La Révolution nationale voulue par Pétain n’est pas la leur. Ils vont donc majoritairement tout faire pour maintenir cet édifice à flot, malgré soixante élèves par classe, même sous les bombardements et en dépit des pressions d’une administration qui tire à hue et à dia entre les consignes vichystes et le respect de tous les enfants.

En 1940, trois ministres se succèdent. Dans les villes et les villages, le peuple des écoles, quel que soit le local, continue avec la même conviction. "Je maintiendrai", indique un inspecteur en 1940 en reprenant la devise de Guillaume d’Orange. Un autre explique en 1941 : "J’aurai eu la satisfaction de sauver mon école en créant, en bousculant des ronds de cuir, en suppléant à la carence des pouvoirs publics, et même en faisant front aux Allemands."

Faire la classe sous Vichy n’était pas une sinécure. Pour pallier le manque de moyens, une institutrice a créé une cantine de fortune en utilisant le poêle scolaire, et les enfants pour l’épluchage, la vaisselle et le rangement. Matthieu Devigne montre que les hussards de la République demeurent fidèles à une administration plus qu’à un régime, en mettant les élèves au-dessus de tout. "Individuellement, les archives gardent presque exclusivement la trace de protection, voire de sauvetages."

Tout à sa transformation de la France, Vichy n’a pas réussi à imposer sa vision politique dans les classes, même avec la photo de Pétain. Certains instituteurs continuaient à faire chanter La Marseillaise plutôt que Maréchal, nous voilà !. "L’école, c’est la vie, la guerre ne put rien contre ça", conclut Matthieu Devigne. Globalement, c’est ce qui ressort de cette vaste enquête, l’école primaire, même si elle n’était plus républicaine, a protégé les enfants et cela grâce à ses enseignants. En donnant la prédominance à leurs témoignages, il fait émerger la mémoire des maîtresses et des maîtres. Il leur rend ainsi le plus beau des hommages. L. L.

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