Palais de mémoire. « J'aimais cet emprisonnement comme j'aime maintenant l'emprisonnement de ma mémoire, où j'erre hagard en poussant des portes dont je feins d'ignorer ce qu'elles cachent. » Ce premier roman de l'éditeur Clément Ribes (collection « Scribes » chez Gallimard) se présente sous la forme de dix chapitres, eux-mêmes sectionnés en cent courts fragments. Ces mille éléments textuels constituent chacun une porte d'entrée vers le personnage de Jérémie, un ancien amant du narrateur. La construction deleuzienne de ce roman, quasiment architecturale, très formaliste, fait l'effet d'une composition poétique en prose qui explore une relation amoureuse dans ses détails, sa complexité, ses différentes strates. Qu'il s'agisse d'une anecdote (« Jérémie pissait la porte ouverte »), d'une citation préférée (« Un poète, c'est un monde enfermé dans un corps »), de précisions vestimentaires (« [Il] portait un perfecto en cuir qu'il avait hérité de son père et qui lui donnait un air de tête à claques »), ou encore d'une phrase dite lors d'un premier rendez-vous (« Il faut savoir endurer »)... chaque pièce apportée à l'ensemble du texte affine la description du personnage et accentue l'effet de recherche mnésique du narrateur. Les souvenirs qu'ils ont partagés apparaissent découpés, saccadés, liés. Parfois ils se contredisent ou bien surgissent sans aucune association d'idées évidente, comme pour imiter les mouvements de la mémoire et de l'oubli, les temporalités de l'existence qui s'entrecroisent, la part de rêve et de réel dans le souvenir amoureux. Ces éléments d'histoire éclatés en petits morceaux et assemblées de façon non chronologique sont autant de portes à ouvrir pour accéder aux images de Jérémie, plus ou moins intimes, et finissent par dessiner un portrait assez clair du personnage. « Je ne lui ai jamais écrit "je t'aime". Je ne lui ai jamais dit non plus, je crois. Je ne pense pas regretter, mais parfois si. »
Finalement, Mille images de Jérémie est aussi traversé en filigrane par la figu- re du narrateur : ce portrait reflète, par effet de miroir, son intériorité, sa personnalité. En cherchant à recomposer, à travers cette forme d'écriture fragmentée et numérotée de façon presque obsessionnelle, les traits de son amant perdu, le narrateur dévoile les siens. « Maintenant que je connais toute l'histoire pour l'avoir vécue - mais est-ce qu'avoir vécu une histoire nous assure de l'avoir comprise ? -, je sais l'importance de cette image de Jérémie ; ce qu'elle disait de lui, ce qu'elle disait de moi ; [...] » Clément Ribes signe un premier roman scintillant, mélancolique et ambitieux £qui offre une expérience de lecture singulière grâce à sa performance stylistique.
Mille images de Jérémie
Verticales
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 20,50 € ; 256 p.
ISBN: 9782073068408