L'Italie au pluriel. L'Italie, ce n'est pas un pays, c'est une civilisation. Boutade mise à part, disons qu'avant d'être unifiée en 1861 sous le sceptre des Savoie, grâce à Garibaldi et au Risorgimento, l'Italie quoique morcelée en maints territoires indépendants - cités-États, duchés, principautés, républiques, seigneuries... - avait conscience d'elle-même comme unité culturelle et linguistique : en gros, plusieurs nations, une seule nationalité. Alors comment faire une histoire de la Botte ? Par où commencer ? À quelle période précisément ? À la fin de l'empire romain - vision d'un temps très, très long et circonscrite à la seule aire géographique ? Ou au contraire de manière extrêmement restrictive, au prisme de l'État-nation depuis l'unité au mitan du XIXe siècle ?
L'ouvrage collectif Le temps des Italies (sic), dirigé par Jean Boutier, Sandro Landi et Jean-Claude Waquet, souligne à quel point l'histoire de la péninsule est plurielle, tout en se demandant ce qui fait ciment. Les directeurs scientifiques ont ainsi choisi de la faire démarrer au XIIe siècle et de l'arrêter à l'aube de l'unification en jouant sur la notion d'« échelle ». Première carte byzantine ou premières tentatives d'écrire une histoire commune, comme Storia d'Italia de François Guichardin (1483-1540), qui disait souhaiter trois choses avant sa mort, « une république bien ordonnée à Florence ; l'Italie affranchie de tous les barbares ; et le monde libéré de la tyrannie scélérate des prêtres »..., les échelles sont à discuter, à inventer à partir d'un espace économique (une noblesse urbaine dynamique, un mercantilisme ouvert sur la mer), ou par le truchement de la pensée politique (Machiavel) ou de la littérature (la triade Dante, Pétrarque, Boccace qui assoit l'hégémonie du tosco-florentin, jugé comme plus pur car plus proche du latin). Ce livre ne déroule pas une chronologie séquentielle. Se voulant « diachronique », il aborde tour à tour le polycentrisme (des pôles de pouvoir indépendants), le campanilisme (ce viscéral attachement à son « clocher »), le poids de la famille (la casa, la corésidence, le système du parrainage), la diplomatie par les arts plastiques ou la musique, ces guerres fédératrices contre l'ennemi étranger commun...
Des illustrations, tels le portrait du cardinal Pietro Bembo par le Titien ou Le Bon Gouvernement d'Ambrogio Lorenzetti, sont des respirations bienvenues dans cet ouvrage fort riche. Le temps des Italies se lit comme l'épopée kaléidoscopique d'une Péninsule dont l'identité réside justement dans sa pluralité même.