Avant-critique Livre d'art

Collectif sous la direction de Christine Barthe et Annabelle Lacour, "Mondes photographiques. Histoires des débuts" (Musée du Quai Branly-Jacques Chirac/Actes Sud)

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Collectif sous la direction de Christine Barthe et Annabelle Lacour, "Mondes photographiques. Histoires des débuts" (Musée du Quai Branly-Jacques Chirac/Actes Sud)

Une exposition et son livre-catalogue, sous la direction de Christine Barthe et Annabelle Lacour, retracent les débuts de la photographie mondiale.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 23.03.2023 à 15h31 ,
Mis à jour le 03.04.2023 à 14h16

Tout l'univers. C'est un projet d'une folle ambition : à travers une exposition, puis un livre largement illustré, retracer l'histoire de la photographie de ses débuts vers le milieu du XIXe siècle jusqu'au début du XXe siècle, à l'orée de la Première Guerre mondiale. Mais pas la photographie centrée autour de l'Europe et des États-Unis, celle « décentrée » sur le reste du monde, des autres continents, rangés par ordre géographique : Afrique, Asie (Empire ottoman, Iran, Inde, Chine, Vietnam, Japon), Océanie, Polynésie, Amérique du Nord (avec notamment des clichés des Indiens et des Noirs), Amérique latine (Cuba, Brésil, Uruguay, Pérou, Chili...). Une première mouture de l'exposition avait été montrée au printemps 2019 au musée du Louvre-Abu Dhabi, et courait seulement jusqu'en 1896. En voici une nouvelle, plus vaste, qui présente près de trois cents œuvres, provenant pour la majorité des collections du musée du Quai Branly Jacques-Chirac, ainsi que de quelques collections privées.

Quant à l'ouvrage qui l'accompagne, bien plus qu'un catalogue, c'est un véritable livre d'art collectif, avec une cinquantaine de contributeurs, sous la direction de Christine Barthe et Annabelle Lacour. Les textes sont des études sur une zone géographique, un sujet précis, ou bien des mini-biographies d'artistes, connus (Auguste Bartholdi en Égypte en 1855-1856, le prince Roland Bonaparte chez les Kali'nas) ou non, voire oubliés. Comme cette extraordinaire Alexine Tinne, une Hollandaise célèbre en son temps pour avoir été l'une des rarissimes femmes à se risquer au Soudan du Sud, en 1862. Il faut aussi mentionner Jules Itier, un inspecteur des douanes qui effectua un tour du monde en deux manches, de 1842 à 1846, ou le « daguerréotypiste britannique » James William Newland qui voyagea de 1810 à 1857. Voilà pour quelques artistes, sans parler des amateurs éclairés, comme Ménélik II d'Éthiopie, ou le maharaja Sawai Ram Singh II, de Jaipur, Rajasthan, qui réalisèrent leur autoportrait. Quant aux sujets, ils sont de tous ordres, paysages, villes, villages, fleuves et montagnes, mais surtout des humains, puissants ou humbles, identifiés ou anonymes : l'Autre. Et l'Autre est souvent nu, à l'image de ces baigneurs sur les bords du Nil saisis par Ernest Benecke en 1852. Plus dramatique, il y a aussi ces photos anonymes de cadavres, Turcs massacrés dans les Dardanelles. Dès ses débuts, la photographie marque ses différents domaines d'intervention, ses genres futurs : anthropologie, ethnographie, reportage, portrait... Du moins quand le modèle acceptait le risque de se faire « voler son âme », ainsi que le pensent encore certains peuples animistes, notamment en Afrique.

Tout cela est riche, foisonnant, passionnant, en dépit de quelques couplets rabâchés à propos de la colonisation. Admirons les œuvres pour elles-mêmes, certes en connaissant leur histoire, mais sans présupposé idéologique ni jugement moral.

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