Avant-critique livre d'art

Adjugé, vendu ! Une salle des ventes nous dit toujours quelque chose de la société du moment, ne serait-ce qu’au travers du brassage des amateurs, des curieux et des professionnels. À travers les objets et les œuvres d’art, les marchands et les acheteurs fixent la cote de confiance d’une époque envers elle-même. On le constate en ce mois de mars 1914 lorsque le financier André Level disperse à Drouot la collection « Peau de l’Ours ». On y trouve les plus grands artistes du moment, Picasso en tête. Les acheteurs sont enthousiastes et les prix s’envolent. On admire les œuvres, on veut les acquérir, on croit que la beauté sauvera le monde. Quelques mois plus tard, c’est le déclenchement de celle qu’on nommera la Grande Guerre avec ses millions de morts.

Judith Benhamou a retenu cette anecdote pour raconter autrement l’hôtel Drouot et dessiner en filigrane une savoureuse histoire de la manière dont l’art est entré chez les collectionneurs du XIXe siècle à la Seconde Guerre mondiale. La journaliste, créatrice du site en langue anglaise Judith Benhamou Reports (judithbenhamouhuet.com) consacré à l’actualité artistique internationale, a choisi dix moments pour cette fresque des enchères, dix épisodes dans un Paris alors capitale du bon goût et des avant-gardes, ce qui n’est pas la même chose, et Drouot « l’épicentre des transactions mondiales, tant en matière d’art ancien que d’art moderne ».

Réveiller les souvenirs

Dans ce livre, fruit de trente ans de fréquentation du marché de l’art, Judith Benhamou, prend plaisir à réveiller les souvenirs. Elle évoque l’insatisfait Edgard Degas, « le peintre qui n’aimait pas vendre », révélé après sa mort sous le marteau d’un commissaire-priseur, l’engouement pour l’art asiatique et Hokusai via les frères Goncourt, mais aussi la redécouverte de Vermeer par un journaliste politique devenu critique d’art, Théophile Thoré-Bürger, qui écrit en 1866 : « En voilà un que nous ne connaissons pas en France, et qui mériterait bien d’être connu ! ».

Tout cela part de Drouot, centre de l’agitation et de l’agiotage, point de rencontre des passions et des profits. Paul Durand-Ruel y invente le marché international de l’art et sauve Monet. Van Gogh, en pleine crise nerveuse, demande à son frère Théo de lui acheter des gravures ou des reproductions de Millet dont il nourrit son inspiration. L’endroit devient aussi le grenier des surréalistes qui viennent y chiner des idées, spéculer sur les arts premiers ou conseiller quelques grands mécènes. C’est Breton qui suggère au couturier Jacques Doucet d’acquérir Les demoiselles d’Avignon de Picasso.

Judith Benhamou montre combien les artistes viennent rêver dans ce lieu unique. Louise Bourgeois a été une grande acheteuse dans les années trente avant son installation aux États-Unis. Le marché de l’art s’éloigne alors lui aussi. Mais Drouot résiste à cette vogue américaine. Depuis 1852, il demeure un formidable petit conservatoire des merveilles, à l’image de ce livre élégant et documenté, dans lequel on furète avec passion entre les illustrations et les anecdotes.

 

Histoires extraordinaires de l’art à l’hôtel Drouot de Judith Benhamou, Flammarion, 208 p., 35 €.

Les dernières
actualités