C’est une drôle d’histoire, dans une Angleterre victorienne fantasmatique, avec des personnages babas d’oiseaux extraordinaires, emballés dans un genre littéraire qui n’existe pas… vraiment. Des oiseaux fabuleux dans un ciel victorien s’annonce comme un gâteau littéraire au goût merveilleux et inédit. L’héroïne, pour commencer : une jeune femme en jupons, serrée dans un corset, avec chapeau, ombrelle et rubans, mais pas cruche du tout. Beth Pickering, c’est son nom, est la plus jeune professeure d’ornithologie d’Angleterre, et sans aucun doute la plus charmante. A seulement 24 ans, en possession des charmes dont elle ignore faussement ingénument tout, elle trône tel le pot de miel dans le cénacle d’universitaires, des hommes majoritairement, vieillissants et rabats-joies.
La tension érotique éclot pourtant dès les premières pages, lorsque Devon Lockley fait irruption, et lui vole l’oiseau exceptionnel qu’elle convoitait. Beth est diplômée d’Oxford, lui professeur à Cambridge, mais il a fait ses études à Yale, en Amérique. Une université de yankee « qui n’a même pas deux cents ans d’âge ! », peut-on lire. On pouffe. Beth et Devon ont tout pour être de farouches rivaux. Lui s’interroge sur cette oie blanche engoncée dans la guipure, elle admire immédiatement… ses cuisses. Cette cocasserie première fait jaillir un humour qui amorce la pompe d’une lecture jubilatoire. L’autrice, India Holton, néozélandaise, qui se déclare autiste, cachée derrière de grandes lunettes papillons, à qui l’on doit la trilogie Dangereuses demoiselles chez J’ai Lu, nous livre ici quelque chose de neuf.
Des personnages pittoresques, gentiment ridicules
La chasse aux oiseaux fabuleux fait partie du spectacle : on cherche à s’emparer du sifflemort, on redoute le pyro-pinson, l’attaque d’un vanneau viandard pourrait être fatale et la poursuite d’un caladrius se transforme en quête du Saint-Graal, d’aucuns affirmant que « l’oiseau aurait été présent lors de la Cène et aurait picoré les miettes lancées par Jésus ».
On s’amuse grandement de personnages pittoresques, gentiment ridicules, comme la très riche Hyppolitha, ou l’odieux marchand allemand Herr Oberhufter. Ces « caractères », chez lesquels chacun peut reconnaitre quelqu’un, ajoutent au récit la dimension d’une satire sociale parfaitement réussie puisque décalée.
Au-delà de cette faune bigarrée, et de la détestation-attraction mutuelle entre la « ravissante demoiselle » et le « beau gredin », on se régale du monde créé par India Holton. L’Angleterre de la upperclass au XIXe siècle, avec tout ce qu’il contient d’épique, de romanesque, voire de bravoure. L’action trouve son souffle dans la compétition : cette petite société chasse l’oiseau comme la renommée qu’il représente, pulvérise l’idée qu’on se ferait d’une romance plan-plan. L’atmosphère des savants rappelle La Boussole d’or de Philip Pullman, les animaux fantastiques ceux de J. K. Rowling, la distance avec le sujet ressemble à celle de Jane Austen, dont on sous-estime tant en France l’irrévérence du ton. Sous ses airs de romance historico-magico-fantastique, Des oiseaux fabuleux dans un ciel victorien est donc un roman malin, intelligent et sexy, croustillant et mordant à souhait, qui s’amuse des codes du genre, sans les gâter. La belle réussite d’un roman à part.