L’interopérabilité s’impose comme un enjeu critique pour les professionnels de l’édition face aux grands acteurs technologiques, selon un rapport présenté en début de semaine par le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA).
Présomption de dépendance économique
Concept technique et juridique longtemps cantonné à l’arrière-plan des débats, l’interopérabilité désigne la capacité des systèmes et des plateformes à échanger et utiliser mutuellement des informations pour fonctionner ensemble. Elle est aujourd’hui au cœur des enjeux de l’économie culturelle.
« L’interopérabilité est avant tout un mode de gestion de l’hétérogénéité », expose le dossier de 50 pages établi par l’avocate Fayrouze Masmi-Dazi et le juriste Umberto Valenza. Cette notion englobe la standardisation technique, l’harmonisation des données et la coordination des processus pour atteindre des objectifs communs. Dans un contexte où les éditeurs de contenus dépendent de plus en plus des plateformes, des solutions adaptées sont indispensables pour préserver leur autonomie et leurs droits.
Face aux pratiques des plateformes dominantes, le rapport recommande d’établir une présomption de dépendance économique des éditeurs vis-à-vis des grandes plateformes technologiques. À l’image du modèle italien, cette mesure inverserait la charge de la preuve dans les négociations. Elle pourrait s’avérer cruciale pour les professionnels de l’édition, notamment dans les discussions autour des droits voisins.
Autre levier juridique : permettre aux organisations professionnelles d’agir comme tiers autorisés pour demander l’accès aux données et négocier des accords. Le rapport insiste également sur l’importance de reconnaître en France les décisions des autorités de concurrence européennes pour garantir une application harmonieuse des règles d’interopérabilité.
Meilleure accessibilité des données sur les ventes de livres
L’interopérabilité ne saurait se résumer à l’existence de standards techniques. Bien qu’importants, ces derniers doivent être complétés par des descriptions claires et accessibles du contenu, des paramètres et des usages. L’objectif est d’assurer une véritable interconnexion et un fonctionnement fluide entre différents systèmes, dépassant ainsi la simple mise à disposition technique. Le rapport insiste sur la nécessité d’aller au-delà des API accessibles en apparence. « Il ne suffit pas de mettre à disposition des milliers d’API sans en décrire le contenu, les paramètres et les usages », précise le document. Des exigences minimales, comme celles définies dans le Data Act adopté en 2023 pour établir des règles visant à favoriser l'ouverture accrue des données provenant de l'Internet des objets (IoT) doivent structurer ces standards.
Pour l’édition, cela pourrait se traduire par une meilleure accessibilité des données sur les ventes de livres, telle qu’envisage l’inter-profession avec le projet Fileas, ou une interconnexion fluide entre différentes plateformes de distribution. Cela favoriserait une plus grande transparence et offrirait des opportunités d’innovation.
Des modèles économiques plus équitables
Les incitations économiques jouent un rôle déterminant dans l’interopérabilité. Le rapport met en exergue le danger des modèles économiques basés sur une captation excessive de valeur par les plateformes. Il préconise une décorrélation des revenus d’intermédiation et de la valeur des transactions.
Un exemple mis en lumière dans le rapport est celui des plateformes de billetterie culturelle, qui optent pour des modèles tarifaires transparents ne reposant pas sur des commissions excessives.
Une responsabilité partagée
Enfin, le rapport souligne que l’interopérabilité ne peut être un simple concept théorique. Elle doit s’appuyer sur des outils concrets associant droit de la concurrence, normes techniques et cadre économique. Les professionnels de l’édition sont invités à jouer un rôle actif dans ce processus. Comme le conclut le rapport, « l’interopérabilité est une opportunité historique pour corriger les déséquilibres structurels dont souffrent les secteurs culturels et créatifs ».
Cette mobilisation collective est essentielle pour transformer ces recommandations en réalités tangibles et redonner aux éditeurs le contrôle sur leur destin numérique.
Pour rappel, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique est chargé de conseiller le ministre chargé de la Culture en matière de propriété littéraire et artistique. Il a vocation à répondre aux nouvelles questions posées aux droits d’auteur et droits voisins par l’essor du numérique.