Plus de 700 personnes — davantage qu’en 2023 — ont participé au congrès annuel de l’Association des bibliothécaires de France (ABF), tenu du 6 au 8 juin à Toulon. Palmiers, fontaines ruisselantes, glaciers, chemises baillantes… et festivités en écho avec ce thème : l’action culturelle, « une facette de nos service réaffirmée par la loi Robert », contextualise la présidente de l’association Hélène Brochard.
Des actions culturelles vraiment pluralistes ?
Une loi bibliothèque qui prescrit notamment le principe de pluralisme. « Nous l’appliquons pour nos collections, mais pas pour notre programmation culturelle », remarque une bibliothécaire lors d’un atelier sur le sujet. Faut-il donner carte blanche à un chanteur au militantisme crispant une partie de la population ? Oui, s’il s’insère dans un cycle d’animations faisant place à d’autres points de vue. Comme plusieurs livres d’opinions différentes présentés sur une même table. « Mais contrairement aux collections, les événements sont plus rares, donc le pluralisme plus difficile à doser », commente Dominique Lahary, du comité d’éthique de l’ABF.
La représentation des opinions a ses limites. On refusera d’inviter un climatosceptique, « car c’est contraire à un consensus scientifique », poursuit Lahary. Inversement, gare à l’excès de prudence qui conduit à ne présenter que des profils consensuels, s’ils existent… « Hors de question de faire de l’eau tiède en permanence », défend Hélène Beudon, du comité d’éthique.
A ces imparfaits parti-pris s’ajoute la possible pression politique. Comment mettre en place une grainothèque portée par une association en conflit avec le maire ? On demandera l’appui de la bibliothèque départementale, des Drac… et en parvenant à se désolidariser, si cela arrive, de la pétition portée par des habitants, au risque de représailles.
Facile à lire : pas facile sans rencontre
Pour toucher les habitants dans leur pluralité, notamment ceux mal à l’aise avec les bibliothèques, a été présentée la démarche Facile à lire, qui consiste non seulement à mettre à disposition des ouvrages à l’écriture accessible à tout lecteur, mais à inciter à les lire. Une stratégie de la médiathèque de Vannes : confier à des lycéens en menuiserie la construction d’un meuble qui contiendra les livres Facile à lire. « Lors de l’inauguration, les jeunes étaient fiers de montrer leur oeuvre à leur famille, qui pour certaines n’étaient jamais entrées dans la médiathèque », témoigne la bibliothécaire-formatrice Christine Loquet. L’association Li(b)re organise quant à elle des ateliers où les concernés collaborent à la rédaction d’un ouvrage avec un écrivain.
Pour que ça matche, « l’auteur doit aller en-dehors de la médiathèque, déplacer le seuil. J’offre ma présence et mon temps, et c’est vécu par les participants comme un rupture avec leur quotidien, une brèche heureuse, interpelle Françoise Legendre, qui a notamment signé La nappe blanche. Et si les publics viennent à la bibliothèque, il faut une reconnaissance. Ils nous font un cadeau. La brèche ouverte devient un chemin ! »
Quand le hors-les-murs est enchaîné
Mais aller en-dehors n’est pas toujours chose facile, surtout en prison. Etablir une convention avec le ministère de la Justice prend du temps… « Nos actions depuis 2021 sont couvertes par une convention en cours d’écriture ! », atteste une bibliothécaire.
D’autres champs progressent, comme les micro-biblis proposées depuis 2021 par Bibliothécaires sans frontières, au nombre de 75 à ce jour. Les cafés, les structures socio-éducatives ou tout lieu capable de faire la médiation de ces points de lecture peuvent candidater, pour compléter l’offre de bibliothèques lacunaire dans certains territoires. Mais un travers possible : que BSF se substitue à des municipalités peu investies dans leur lecture publique, qu’elles préfèrent délaisser au profit d’autres domaines… « On ne peut pas remplacer le politique, concède Maxime Bergerot, responsable du développement des opérations. Notre rôle est d'alerter les pouvoirs publics sur les besoins. »
La nécessité du réseau ?
Pour augmenter la force de frappe des actions culturelles, faut-il agir à l’échelle du réseau ? Dans le réseau Coeur d’Essonne, « sans l’enveloppe budgétaire commune au réseau, nous n’aurions pas eu les moyens de certaines actions culturelles », rapporte Aénor Carbain. « C’est aussi un levier de management d’équipe », souligne Pauline Houssay, coordinatrice des actions culturelles et scolaires à la médiathèque de Haguenau. Une réflexion en commun de la programmation qui a aussi cet intérêt : garder en ligne de mire le service rendu à l’usager, éviter les dérives d’un bibliothécaire qui mène sa barque et flatte ses propres désirs.
Mutualiser l’action culturelle permet en plus d’éviter les doublons dans la programmation, un cumul qui devient trop-plein. « Attention à l’épuisement des équipes et du public », alerte ainsi la bibliothécaire-formatrice Odile Nguyen, qui mentionne sa propre expérience d’usagère de médiathèque dépassée par l’abondance de l’offre.
Jamais sans les partenaires
Pour aller plus loin dans la mutualisation, il y a aussi intérêt à travailler avec des partenaires extérieurs (cinéma, prison…). Ne serait-ce que pour une question de budget, de plus en plus étriqué pour beaucoup.
Une participation financière du partenaire est d’ailleurs un moyen de s’assurer de son engagement. C’est aussi démultiplier la communication d’un événement de part et d’autre. En étant accueillie le mercredi à la médiathèque de Chalucet, en plein centre de Toulon, l’Université du Temps Libre a fait une croix sur l’entrée payante à ses conférences, mais tant pis : elle se réjouit d’afficher complet.
Surprendre
Tout cela répondant à cet objectif : offrir à tous, et de manière attractive, des expériences culturelles. « La programmation d’événements — qui se fait en partenariat avec d’autres acteurs du territoire, car les bibliothèques sont des lieux de jonctions — permet aux gens d’accéder gratuitement, à différents moments de la journée, au savoir ou au divertissement. Un environnement qui leur permet de se retrouver, de se rencontrer, de partager et, parfois, d’être surpris », résume Emmanuel Fille, chargé de la lecture publique toulonnaise.
Et de conclure que « l’action culturelle est un tout qui s’appuie sur des collections, des espaces, des équipes, pour donner un supplément d’âme à notre savoir-faire original qui tourne autour des documents, les rendre plus vivants, plus humains. »
Thème du Congrès 2025 : l’esprit critique.