Pépites d'or 2019 au salon de Montreuil avec le western féministe Sans foi ni loi (PJK), Marion Brunet est depuis Frangine (Sarbacane, 2013) devenue l'une des auteures les plus acérées de la littérature Young adult. L'âpre Eté circulaire (Albin Michel, disponible au Livre de Poche), Grand prix de littérature policière 2018, qui a marqué son passage dans la catégorie adulte, est venu confirmer sa place marquante dans le genre noir, le drame social réaliste. Le sujet qui arme une nouvelle fois la plume de combat de cette ancienne éducatrice spécialisée, c'est la violence qu'exerce la société contemporaine en crise sur ses membres les plus vulnérables. Et le combat du peuple de la lose s'incarne ici dans la vie précaire de la farouche Vanda, une jeune mère seule avec son fils de six ans. Une marginale volontaire, entourée de « galériens » comme elle mais qu'elle tient « en lisière de sa vie », ne comptant que sur ses ressources de misère : un cabanon les pieds dans l'eau, en fait un garage à bateau aveugle qui donne directement sur une plage marseillaise, un contrat en CDD renouvelé tous les trois mois dans un hôpital psychiatrique sous pression, une vieille voiture. Vanda est une paria d'aujourd'hui que son statut de mère tient debout et fragilise à la fois. L'amour exclusif qu'elle porte à son fils, ses lourdes boucles brunes, les fleurs qui couvrent son corps tatoué, semble être les seules choses sur lesquelles la jeune femme ait prise. Et quand Simon, le père de l'enfant, graphiste à Paris, revient en ville, le monde en déséquilibre instable de Vanda se charge de nouvelles tensions, d'une colère paniquée impossible à contenir.
Marion Brunet, née pas loin (dans le Vaucluse) et installée à Marseille, connaît bien la beauté hostile de ce sud. Le tragique de ses ciels ventés, même si parfois « ce bleu-là repousse la fin du monde ». Sans jamais verser dans le roman social à thèses, elle observe avec une acuité empathique, le plus concret, le plus quotidien de ce mélange inflammable de « peur sidérante et de fatalisme » qui terrasse Vanda et tous ceux pris dans cette boucle, de l'impuissance à la rage, de la révolte à la répression. Sous le regard d'un narrateur omniscient mais jamais surplombant, personne n'est idéalisé ni jugé : femme aux abois, Vanda peut être une mère impulsive et brutale. Simon, mieux loti en apparence, un garçon indécis au milieu du gué, un transfuge de classe honteux. Autour d'eux, dans la même nasse, des humiliés, des cabossés, des faibles qui s'entre-déchirent. Et quelques lumières qui clignotent aussi, la chaleur de rapprochements de fortune : un couple accueillant à Tanger, un pote serviable, une famille sur une plage corse, un collègue solidaire qu'on retrouve dans une manifestation qui vire mal... La mère et le fils s'accrochent l'un à l'autre sur leur radeau qui prend l'eau, l'amour en bouée de sauvetage. Elle et lui « contre le reste du monde », c'est l'assurance à la vie à la mort que promet la mère à l'enfant. Un serment déchirant tant il est clair qu'il ne saura les protéger. On était prévenu : même sous le soleil, il peut faire très sombre.
Vanda
Albin Michel
Tirage: 15 000 ex.
Prix: 18 euro ; 240 p.
ISBN: 9782226449573