Le Tribunal judiciaire de Marseille, par son jugement du 6 février 2025 (TJ Marseille, 1ère chambre, n° 22/12168), a rendu une décision particulièrement instructive en matière de contrefaçon et de parasitisme artistique. En effet, cette affaire met en lumière les enjeux du droit de la propriété intellectuelle dans le domaine artistique et culturel. L'affaire opposait les Éditions Albert René, éditeur des Aventures d’Astérix au plasticien Christophe Texier, alias Peppone, qui avait repris sans autorisation les traits distinctifs du personnage d’Astérix et d’Idéfix (le chien d’Obélix) pour des sculptures commercialisées dans des galeries et sur internet.
Le plasticien et ses sculptures
En 2022, la société des Éditions Albert René, détentrice exclusive des droits de merchandising et d’exploitation de l’univers des Aventures d’Astérix, a intenté une action en justice contre l’artiste Peppone et sa société, considérant que les œuvres qu'ils avaient produites et mises en vente constituaient une atteinte à ses droits patrimoniaux.
En effet, Peppone a réalisé de nombreuses sculptures d’inspiration Pop art à partir des personnages de la tribu gauloise, qu’il vendait dans sa galerie d’art et sur internet. Plusieurs constats d’huissier ont démontré que certaines des statues reprenant fidèlement les caractéristiques visuelles du chien Idéfix ont été commercialisées sur plusieurs plateformes et dans des magasins physiques, confirmant ainsi la violation manifeste des droits d’auteur détenus par l’éditeur.
Astérix : un original
Dans son jugement, le tribunal judiciaire de Marseille a rappelé l’originalité des personnages de la BD, dont Astérix - singularisé par des choix esthétiques tels que ses longues moustaches ou des yeux et sourcils particulièrement expressifs - et Idéfix, doté de courtes pattes et d'une couleur différente de celle du corps pour la queue et le bout des oreilles. Il a également rappelé que leurs caractéristiques en font fait des personnages propres aux Aventures d'Astérix. Leur rôle prépondérant au sein des albums a permis de développer leur notoriété nationale et internationale et ils sont devenu des figures emblématiques de l’univers culturel au XXème siècle. Enfin, le tribunal a rappelé que l’office des marques de l’Union européenne a également reconnu en 2020 la renommée des personnages, en observant qu’ils étaient issus de la bande dessinée Les Aventures d'Astérix, qui « a donné lieu à un très grand nombre de numéros », et dont les personnages, y compris celui du chien, sont « connus d’autant plus que la bande dessinée a été déclinée en films à succès ».
Contrefaçon et reproduction servile
L’infraction de contrefaçon est établie en vertu de l’article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle, qui prohibe toute reproduction intégrale ou partielle d’une œuvre sans l’accord de son auteur ou de ses ayants droit. Le tribunal a retenu que la reproduction en trois dimensions des caractéristiques essentielles du personnage litigieux, même avec des modifications esthétiques mineures (telles que des ajouts de motifs ou de couleurs différentes), constituait une contrefaçon au regard du droit d’auteur. L’intention de tirer profit de la notoriété de l’œuvre originale a également été démontrée par l’utilisation du nom des personnages et sa mise en avant dans des campagnes promotionnelles.
Le tribunal a également constaté que l’artiste Peppone ne pouvait contester son intention délibérée de reprendre les caractéristiques de l’œuvre créée par Uderzo et Goscinny, puisque, d'une part, tous les produits contrefaisants étaient désignés sous les noms des célèbre personnages des Aventures d'Astérix, et que d’autre part, ces produits constituaient des reproductions serviles ou quasi serviles des personnages, dénaturées par l’ajout de graphismes et de couleurs.
Le tribunal a conclu en soulignant que Peppone avait indéniablement poursuivi des fins commerciales par le truchement d’un détournement de notoriété de ces personnages et que les considérations relatives aux dimensions des œuvres contrefaites n'empêchaient pas leur caractérisation comme reproduction servile.
Le préjudice et l’évaluation de l’indemnisation
Malgré l'absence de communication complète des documents comptables par les défendeurs, le tribunal a estimé que la fabrication et la vente des statues litigieuses avaient généré un chiffre d’affaires estimé à 175 000 €, estimation obtenue grâce aux éléments saisis lors de l’enquête et aux factures retrouvées lors des perquisitions judiciaires.
En matière de réparation du préjudice, la jurisprudence rappelle que l’indemnisation doit prendre en compte plusieurs facteurs, notamment le manque à gagner, l’atteinte à l’image de marque et les bénéfices indûment perçus par le contrefacteur. Finalement, le tribunal de Marseille a accédé à la demande d’indemnisation de 100.000 euros des éditions Albert René en soulignant la gravité de l’infraction et la durée prolongée des pratiques illicites.
L'invocation du parasitisme économique
À titre subsidiaire, les Éditions Albert René ont également invoqué des actes de parasitisme économique. Cette notion, distincte de la contrefaçon, concerne toute personne qui s’approprie indûment la valeur économique d’un travail créatif sans investissement personnel. Étonnamment, le tribunal ne l'a pas reprise dans son jugement. Pourtant, cette affaire illustre parfaitement la complémentarité entre la protection des droits d’auteur et la lutte contre le parasitisme. En effet, ici, la notoriété de l’œuvre d’origine et son exploitation commerciale constituent des éléments détournables à des fins lucratives par des tiers, sans autorisation et sans contrepartie financière. Le cas Astérix aurait donc pu fournir l'occasion d'éclairer à nouveau le concept de parasitisme.
Une jurisprudence clé pour la protection des droits d’auteur
Ce jugement apporte une contribution significative à la jurisprudence en matière de protection des droits d’auteur, en réaffirmant avec force le caractère strict de cette protection. Il rappelle que la contrefaçon ne se limite pas aux copies intégrales d’une œuvre, mais s’étend également aux adaptations et reproductions partielles dès lors qu’elles reprennent des éléments originaux et distinctifs d’une œuvre protégée.
Les auteurs et ayants droit disposent ainsi d’un fondement solide pour engager des actions contre des atteintes similaires, qu’il s’agisse de contrefaçon ou de parasitisme économique. Cette décision met également en lumière l’importance de la documentation et des éléments matériels dans les procédures judiciaires, telles que les constats d’huissier, les saisies descriptives et l’analyse des documents comptables, qui ont joué un rôle déterminant dans l’administration de la preuve.