Dans l'abyme du 9e art. « Tu tournes en rond. Qu'est-ce que tu fais encore là ? Deviens quelqu'un ! » Les petites voix intérieures de Daniel le harcèlent, lui faisant perdre le peu de confiance en lui qui lui restait. Daniel est auteur de bande dessinée. Membre prometteur de sa génération, il n'a jamais franchi de cap, ni publié le livre de la consécration, et vit d'ateliers scolaires et de BD documentaires sur des sujets de niche. Dans l'ombre. Alors, quand il apprend que son école d'art organise une exposition des anciens élèves, il tente, poussé par son éditeur, de s'y faire une place. Sauf que le thème est : « winners or losers ». Il craint alors d'être affiché du mauvais côté...

Dans son précédent album, Un auteur de BD en trop, Daniel Blancou avait déjà exploré le petit monde du 9^e art, mettant en scène son alter ego en panne de commande comme d'inspiration, et qui récoltait enfin des lauriers en piquant l'idée d'un petit génie. Ici, il creuse le portrait d'un auteur dépassé par tous ses camarades de promotion aux Arts décos de Strasbourg, à la fois jaloux de leur succès et englué dans une carrière ronronnante : Daniel reste ce type sympa, sans talent particulier, celui qu'on oublie toujours au moment de la photo de famille.

Mais loin de composer une fable aigrie sur des espoirs déçus, Daniel Blancou construit un ambitieux récit gigogne, dans un design délicieusement rétro. L'histoire est narrée depuis le futur, alors que la BD est devenue 100 % numérique et créée par des intelligences artificielles. Le passé, lui, vit sous la plume du héros, par ses souvenirs et ses projets de fin d'études, à savoir une série de strips pas drôles et un polar sans queue ni tête (dans lequel un personnage dessine aussi une histoire...). Le présent, quant à lui, est soumis au diktat du petit démon intérieur de Daniel, en forme là aussi de mise en abyme des classiques franco-belges (le fameux diable qui fait faire des bêtises à Milou, etc.). Et, cerise sur le gâteau, les ex des Arts décos font plus que des apparitions, puisque Boulet, Mathieu Sapin, Lisa Mandel ou Erwan Surcouf dessinent des planches dans l'album ! On se perd alors avec bonheur dans ce puzzle au ton doux-amer qui, sous couvert de fiction caustique, dit aussi beaucoup des chemins laborieux de la création.