Dans les limbes de l'adolescence. Deborah est née en Corée, a émigré avec sa famille toute jeune, est passée par l'Europe avant de s'établir aux États-Unis, dans le New Jersey. Bonne élève, elle fait la fierté de ses parents qui la poussent à toujours être la meilleure, en sciences comme à ses cours de violon et de coréen. Mais l'adolescence arrive et la mécanique se grippe. La pression maternelle se fait plus forte, intransigeante, violente même. Deb ne sait plus ce qu'elle veut, se détache de ses racines asiatiques, aimerait mieux s'intégrer mais est discriminée et harcelée au collège. Faut-il acquiescer aux obsessions de sa mère-tigre, qui prétend ne vouloir que son bonheur, ou tout envoyer balader ? L'angoisse monte, le sol se dérobe et Deb tente de se suicider.

Il a fallu cinq ans à Deb JJ Lee pour produire son premier roman graphique, un livre cathartique au trait fin et envoûtant, nimbé de bleu-gris. Et c'est peut-être ce qui explique qu'il est à la fois très bien construit et déborde d'anecdotes touchantes et de sentiments exacerbés. Il est ainsi d'abord question d'identité, pour une jeune Coréenne qui s'est construite en Amérique et qui n'arrive plus à parler coréen, au grand désespoir de sa génitrice. Mais son physique la renvoie sans cesse à ses origines : elle rêve alors de chirurgie esthétique, afin de créer sur ses yeux une paupière à l'occidentale, acte très commun... en Corée. Autre paradoxe perturbant : ses parents acceptent de financer ses passions pour qu'elle soit la plus heureuse possible, mais la font culpabiliser à la moindre suspicion de faiblesse. Montagnes russes émotionnelles adolescentes enfin : délaissée par sa meilleure amie qui s'est trouvé un copain, elle jette son dévolu, de manière pesante et exclusive, sur une jeune fille solaire et populaire, sans percevoir le trouble qu'elle génère.

Peut-être un peu confus ou trop premier degré par moments, In Limbo a néanmoins tout pour devenir un livre important pour la jeune génération, pour qui la parole se libère autour de la santé mentale et des questions d'identité - la litanie des compliments d'autrices américaines le suggère. Il pourrait s'imposer comme l'équivalent, pour les années 2020, du Blankets de Craig Thompson, un pavé d'émotions pas toujours maîtrisé, mais suffisamment sincère et pertinent pour compter.