Dans la Whitechapel Gallery de Londres, deux adultes sont installés sur une balançoire trébuchet et lisent The man of crowd, texte imprimé en double sur chaque page avec une rotation de 180 degrés. Pour le jeune artiste britannique Callum Copley, c’est une façon de rendre la lecture collaborative en permettant à deux personnes de lire simultanément un ouvrage et d’échanger sur le livre en face à face. L’œuvre du designer fait partie des neuf projets retenus pour l’exposition "Unbinding the book" (à savoir déstructurer ou libérer les livres) qui était présentée lors de la Foire du livre d’art à Londres du 26 au 28 septembre dernier. La plateforme d’autoédition Blurb s’est associée à Jotta, le studio de la prestigieuse école d’art londonienne Central Saint Martins, pour mandater des artistes autour du thème de l’avenir du livre face au numérique, à l’aspect solitaire ou communautaire de la lecture, le rapport au temps, à l’imprimé… Ils ont lancé un appel à projets en mai dernier et ont rapidement croulé sous les dossiers, puisqu’ils en ont reçu plus de 400. A l’heure des cours de "design interactif", le livre physique reste un objet d’étude très prisé des écoles d’art, se retrouvant dans une grande partie des projets de fin d’année des élèves. "Nous avons sélectionné les œuvres démontrant la pertinence de l’objet imprimé à l’ère numérique, précise Ben James, le directeur de création du studio Jotta. L’autre critère était la capacité de ces installations à entrer en résonance les unes avec les autres pour créer une exposition cohérente."
En quoi les nouvelles technologies et l’ère Internet modifient-elles le rapport à la création, le travail de l’écrivain et les œuvres elles-mêmes ? Telle était la question à laquelle devaient répondre les artistes. Il en résulte non pas des innovations techniques réutilisables pour le milieu de l’édition, mais des œuvres purement poétiques ou amusantes. Ainsi la graphiste Laura Jouan s’intéresse à l’architecture même d’un livre avec Monument, un "écorché de livre comme en anatomie artistique", précise-t-elle avec son projet typographique en huit volumes. Helen Schell rêve autour de la Lune avec un livre géant qui se métamorphose sous l’effet d’un flash, tandis que Margaret Hall a converti une édition de Spiritual radio de l’archevêque F. H. du Vernet en un émetteur radio. Des pièces de collection que l’on verrait aisément à la Fiac plutôt qu’en librairie. "Que devient un livre une fois qu’on l’a lu ?, se demande Camille Leproust. S’il perd sa valeur comme contenu mais en gagne comme objet, entrant dans une collection." Ainsi la jeune Française, qui forme avec Andres Ayerbe Posada le studio Noot, a mis au point un livre imprimé sur papier thermique, qui s’autodétruit après quatre heures de lecture. Blurb a suivi chaque artiste tout au long du processus créatif et publie régulièrement des vidéos et informations sur l’avancée de ces travaux qui sont en perpétuelle évolution (1). Un catalogue sera bientôt disponible et l’exposition tournera en 2015 aux Etats-Unis, à San Francisco et à New York, avant de revenir en Europe.
(1) http://unbindingthebook.com