La guerre a ceci de commun avec l’amour, moins la stratégie ou les redditions, qu’elle demeure largement un "impensé", réduite le plus souvent aux acquêts des affects. Il fallut, de mémoire récente, Barthes et ses Fragments pour redonner à l’amour un discours ; il faudra peut-être reconnaître au Tourment de la guerre, que publie aujourd’hui Jean-Claude Guillebaud, d’être tout aussi opportun. Surtout qu’à la manière, là encore, du Barthes de la fin, Guillebaud aborde son cher sujet sur le registre de l’intime, du quant-à-soi. Avec pudeur, force et élégance.
Il était donc une fois un père officier, saint-cyrien perdu dans la tourmente de la Grande Guerre. C’est le "rosebud" de l’auteur, qui donne à ce volume une coloration mélancolique. La guerre, donc. Malédiction et catharsis. A travers l’Histoire et pour un temps qui semble céder à nouveau à sa séduction furieuse. La guerre que, jeune grand reporter, Jean-Claude Guillebaud découvre au Biafra dans toute son atroce et paradoxale humanité. Cette guerre à propos de laquelle chacun, combattant ou simple témoin, peut éprouver comme une joie mauvaise avant le dégoût et l’horreur. La guerre, c’est-à-dire le froid, la faim, les corps suppliciés, la désertion de toute raison. Guillebaud explore chaque recoin de son paysage dans ses occurrences historiques, mais aussi religieuses ou idéologiques (en ceci que les idéologies seraient d’abord des "religions séculaires"). Il est trop profondément journaliste pour le faire de quelque chaire que ce soit. Son livre procède d’abord de vingt-six années d’"excursions" dans les zones de conflits sur tous les continents ; ensuite, de quelques voyages plus récents, notamment sur les traces de la campagne de Russie de l’armée de l’Empire ; enfin, de la lecture de tous ceux qui, avant lui, rendirent compte de cette expérience toujours singulière de la guerre ; et son érudition, jamais cuistre, est l’un des points forts du volume. Il en dégage un "usage de la guerre" qui ne fait pas l’impasse sur l’étrange jubilation qu’elle peut parfois susciter, depuis le Péloponnèse jusqu’aux conflits d’aujourd’hui.
Il n’oublie rien et ne s’épargne pas, trouvant toujours, entre confession et analyse, entre attraction et répulsion, la juste distance à son sujet. Pour penser le monde et sa dilection pour la violence, il en passe par lui, par les siens. Ce pourrait être égotiste, c’est juste une politesse fraternelle faite au lecteur. Une manière de lui assigner une place à ses côtés. Passionnant et nécessaire. O. M.