Ce gros livre sur un grand sujet interroge une notion importante dans l'histoire, celle d'empire. Avec la cité-Etat, ce fut l'une des deux grandes formes politiques de l'Antiquité. Ces grands territoires ont fini par incarner l'idée même de civilisation ainsi que les rêves et les désastres qui l'accompagnent. "Les empires sont de vastes unités politiques, expansionnistes ou conservant le souvenir d'un pouvoir étendu dans l'espace, qui maintiennent la distinction et la hiérarchie à mesure qu'elles incorporent de nouvelles populations."
Deux historiens de l'université de New York, l'une spécialiste des empires russe et soviétique (Jane Burbank), l'autre fin connaisseur des empires français et britannique (Frederick Cooper), déroulent cette fresque millénaire pour montrer ce qu'elle révèle de l'imaginaire politique. Pour eux, l'histoire de ces empires constitue véritablement la nouvelle approche de la "world history", bien plus que celle des Etats-nations qui leur ont succédé.
Les auteurs tentent de retenir quelques caractéristiques. L'exemple de Rome, c'est-à-dire d'un empire universel lié à une foi universelle, fut suivi par les califats islamiques, qui se construisirent et s'étendirent eux aussi autour d'un nouveau monothéisme.
Dans ce grand récit avec très peu de notes, nous suivons la naissance et l'extinction de ces grands dinosaures politiques. "Les colonisations du XIXe siècle ne donnèrent pas naissance à des empires radicalement nouveaux. Elles utilisèrent et enrichirent le répertoire des techniques impériales, étendirent les réseaux transverses, diffusèrent des idées contagieuses et renforcèrent les enjeux de la compétition interimpériale." De tout cela, il reste des traces, des survivances, mais elles sont désormais souvent plus inscrites dans la culture et dans les coutumes, comme en Chine et au Japon.
L'ouvrage, très informatif et descriptif, veut également combattre deux idées. Le fait que l'Etat-nation serait la forme naturelle de l'organisation politique et que l'émergence de ces nouvelles organisations conduirait à la fin de l'histoire, comme l'avait envisagé Francis Fukuyama.
Reste une question de taille. Existe-t-il encore des empires ? Sont-ils des formes politiques disparues, comme celle des cités-Etats ? Ce que nous considérons comme une évidence - le monde d'Etats-nations - a moins d'un siècle d'existence. Les empires ont montré leur longévité : deux mille ans pour les dynasties chinoises, un millénaire pour l'Empire byzantin, six siècles pour l'Empire romain et l'Empire ottoman. Il n'est pas impossible que d'autres formes apparaissent. Le modèle européen, soumis aujourd'hui à des turbulences, est peut-être une période de transition.