Kenzabûro Oe était une personnalité singulière au Japon. Une figure morale reconnue autant pour ses textes que pour ses prises de positions, pacifiste, anti-nucléaire et opposée aux traditions autoritaristes de la société nipponne.
Né le 31 janvier 1935, il a grandi dans un hameau reculé de l’île de Shikoku, terre de forêts et de vieilles légendes subversives qui nourrira toute son oeuvre. C'est là qu'il se forgera un regard critique sur la propagande militariste qui balaye le Japon alors que commence la seconde guerre mondiale. La capitulation et le traumatisme de la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki le poussent à rejeter définitivement les vieilles valeurs nationalistes de l'empire nippon et à se rapprocher de celles de l'Occident démocratique.
Un écrivain engagé
A 16 ans, la lecture d'un ouvrage sur la Renaissance française provoque en lui une illumination: "L'expression 'sens du libre examen' qui revient souvent dans ce livre semblait me montrer le chemin à suivre pour le futur", expliquera-t-il bien plus tard. L'adolescent part alors étudier la littérature française à la prestigieuse université de Tokyo, et commence sa carrière littéraire encore étudiant.
Les thèmes de ses livres témoignent de son engagement à ne jamais collaborer "avec ceux qui se trouvent au centre et ont le pouvoir". Il connaît un succès précoce. Ainsi en 1958, à 23 ans, il est lauréat du très prestigieux prix Akutagawa pour Gibier d’Élevage (Gallimard), récit de la captivité d'un pilote afro-américain dans une communauté japonaise durant la Seconde Guerre mondiale. Peu après, sort Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants (Gallimard), roman qui met en scène les pensionnaires d’une maison de correction pendant le conflit.
En 1963, la naissance de son fils handicapé bouleverse son oeuvre. « Écrire et vivre avec mon fils se superposent et ces deux activités ne peuvent que s’approfondir réciproquement, dira-t-il. Je me suis dit que ce serait sans doute là que mon imagination pourrait prendre forme.» Le roman qui suit - Une Affaire personnelle (Gallimard) - raconte ainsi le drame d'un père confronté à la naissance d'un enfant lourdement handicapé.
D'autres livres, comme ses Notes de Hiroshima (Gallimard) ou ses Notes d'Okinawa (Philippe Picquier), lui valent la haine des nationalistes qui le poursuivent en diffamation. Sans craindre le scandale, Oe refusera aussi l'Ordre de la Culture, distinction qui devait lui être remise par l'empereur du Japon.
En revanche, il accepte le Prix Nobel de Littérature en 1994 et, fort de sa notoriété, écrit l'année suivante au président Jacques Chirac pour protester contre la reprises des essais nucléaires français dans le Pacifique. Il poursuivra ce combat en s'associant plus tard aux manifestations antinucléaires après la catastrophe de Fukushima.
L'annonce de la mort de Kenzabûro Oe a eu lieu dix jours après sa disparition et après la tenue de funérailles familiales privées.