Il s’apprête à jouer Marcel Cerdan dans Edith et Marcel, le prochain film de Claude Lelouch. Il s’y est préparé. Sobre et clean depuis plusieurs mois, il s’est taillé un corps de boxeur, a coupé ses cheveux et rasé sa moustache. Il rentre des Antilles où il a laissé sa compagne Elsa chez son ami "Mich". Il est prêt. Pourtant, à quelques jours du début du tournage, ce 16 juillet 1982, Patrick Dewaere, le "fauve", vit ses dernières heures. Ce jour-là, Enguerrand Guépy a 8 ans, et l’annonce à la radio dans l’après-midi du suicide de l’acteur le laisse étrangement bouleversé. "Depuis, il revenait régulièrement me hanter comme un frère parti fâché et contre lequel je m’étais barricadé. Aujourd’hui, j’ai décidé de lui ouvrir la porte", raconte-t-il à la toute fin du livre. Ainsi l’écrivain a-t-il choisi de s’installer dans la tête et le cœur du fauve, ce "cœur qu’il a si mal protégé" pour imaginer de l’intérieur la dernière journée, les dernières exaltations, les ultimes angoisses de cet "animal vindicatif et belliqueux". Pour un romancier, les questions laissées ouvertes par une fin brutale et prématurée sont un vaste territoire de fiction. En particulier quand le disparu est aussi indéchiffrable. Dans un jeu de reconstitution, d’interprétation, Enguerrand Guépy traque dans le dernier déjeuner avec l’équipe du film, dans une conversation avec un chauffeur de taxi zaïrois croisé deux fois au cours de cette dernière journée, dans des mots de rupture balancés au téléphone, l’écho des voix paranoïaques et dépressives qui ont, peut-être, terrassé la star fragile. Et il insère avec fougue du romanesque au milieu de faits connus de la biographie de l’acteur. Un fauve est un roman, qui se fraie un chemin d’intimité à travers des zones d’ombre. V. R.