Il s’appelait Paul Taesch. En 1896, il a raconté son histoire de gosse perdu lors de son séjour à l’asile départemental du Finistère. Elle se nommait Micheline Bonnin. Elle avait 20 ans dans les années 1950, et de l’internat qui accueillait les "filles mères" elle envoyait des lettres à Odile Rouvat, une assistante sociale, pour lui dire sa détresse. Le point commun de ces deux ouvrages préfacés par l’historien Philippe Artières, c’est l’enfermement. Mais les murs sont aussi mentaux, car même à l’extérieur, ces vagabonds restent enfermés.
En nous présentant le dossier Taesch, avec des documents, des reproductions et des photographies, Anatole Le Bras (Sciences po Paris) nous fait voir l’enfance aliénée à la fin du XIXe siècle et l’administration de la folie par le bas. Ses courts Mémoires sont autant une demande de sortie qu’une reprise de soi. Il sortira, mais demandera à être interné, comme si le dehors était aussi insupportable que le dedans. Micheline Bonnin, elle, voudrait aussi qu’on l’aide à supporter cette épaisseur de misère qui alourdit sa vie. Jean-François Laé (université Paris-8) la resitue dans cette France d’après-guerre encore rurale. Elle aurait pu croiser Albertine Sarrazin, l’auteure de La cavale, qui fréquentait les mêmes "maisons" dans la région.
Dans les deux cas, on voit bien comment la punition façonne les phrases de ces déclassés. Ces textes, tirés des cartons de l’asile de Quimper et du Service de protection de l’enfance d’Avignon, redonnent vie à ces destins archivés pour l’oubli. En histoire, c’est le petit miracle de la recherche quand elle trouve.
Laurent Lemire