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Des magazines de prépublication tentent encore de “démocratiser le manga de création”

Extrait de Rōnin par Matthieu Fayet dans Konkuru - Photo Konkuru

Des magazines de prépublication tentent encore de “démocratiser le manga de création”

Rares sont les magazines de prépublication de mangas qui ont survécu en France. Pourtant, des amateurs passionnés persistent à faire émerger une nouvelle génération de mangakas. C’est le cas de Konkuru qui lance le 15 février la deuxième saison de son magazine imprimé. Malgré un passif compliqué pour ce type de publication, l’équipe espère "démocratiser" le manga francophone. 

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Par Dahlia Girgis
Créé le 13.02.2024 à 14h25 ,
Mis à jour le 13.02.2024 à 21h09

Au Japon, les magazines de prépublication sont incontournables pour les passionnés de mangas. Du Weekly Shōnen Jump à d’autres titres de niche, les succès y naissent avant de se transformer en tome imprimé. À l'inverse, les magazines se font rares dans l'Hexagone où les tentatives infructueuses se multiplient. Pourtant, une nouvelle équipe a relevé le défi avec la sortie de Konkuru en décembre 2022. Après la parution de huit numéros nourris de shōnen et de seinen francophones, une seconde saison de six numéros démarre le 15 février. 

Comme pour les périodiques japonais, les lecteurs sont invités à voter pour leurs histoires favorites, mais via un QR code. Ce "Konkuru Strike" est raccourci de 288 à 256 pages, et passe de 15 à 12,50 euros. "Nous voulons démocratiser le manga de création", explique le directeur général Robin Emptaz qui a cofondé l'entreprise fin 2022 avec Medhi Hamzaoui. Aucun membre de l’équipe ne vient du monde de l’édition, mais tous sont des passionnés du genre. Ils développent une fidèle communauté sur Instagram qui leur sert aussi de viviers d’auteurs. Le magazine compte aujourd’hui près de 250 abonnés mensuels et se distribue dans une dizaine de librairies.

L'équipe de Konkuru à la Japan Expo 2023
L'équipe de Konkuru à la Japan Expo 2023.- Photo KONKURU

Il n'est pas le seul à opérer sur le marché français. Depuis 10 ans, le collectif d'amateurs Kippon Dream partage aussi du manga de création dans un magazine de prépublication en ligne. L’association cofondée par Romain Damoizeau prévoit de se transformer prochainement en société et publie cet été un numéro anniversaire de 10 one-shots. Les rares magazines imprimés sont distribués dans une vingtaine de librairies. Soutenu financièrement par sa communauté, Kippon Dream compte aussi publier deux mangas à 3 000 exemplaires. Parmi eux, Allegoria de Charlotte Joriot, ancienne assistante mangaka au Japon. "Nous aidons sur le script, le scénario et le storyboard, puis nous faisons un suivi chapitre par chapitre", détaille le cofondateur. Robin Empatz ajoute : "Notre travail est de dénicher des talents sur lesquels les maisons d'édition ne misent pas encore". Pari réussi pour Konkuru qui voit deux de ses auteurs signés dans des maisons : Edas (Le Roi Soleil, Myria Éditions) et l’illustrateur Nevan (L'Ombre de Moon, Delcourt Tonkam).

De "Shogun Mag" à la prudence des éditeurs

La démarche plaît à Mahmoud Larguem, directeur éditorial de Nouvelle Hydre. Voisin du stand de Konkuru à la Japan Expo en 2023, il estime que "la naissance de ce magazine est le signe d’un vivier de création et une mine d’informations”. Mais d’autres éditeurs se montrent plus "hermétiques", glisse Robin Emptaz. Le directeur éditorial de Pika, Mehdi Benrabah n’a pas le réflexe de faire de la prospection dans ce genre de publications. Pour lui, il est difficile de calquer les périodiques japonais : "Le nom de ces magazines sonne comme des labels de qualité en raison d’une ligne éditoriale très travaillée, en France nous n’avons pas ce niveau-là.”

La prudence est de mise vu l'historique des magazines dans l’Hexagone, à l’image de Shogun Mag. En 2005, Guillaume Dorison spécialiste de jeux vidéo avait rencontré une multitude d’auteurs qui voulaient se lancer dans le manga. Il se rapproche alors des Humanoïdes associés "une maison avant-gardiste" qu’il admire, et qui n’avait pas encore développé de rayon manga. La directrice générale de l'époque Josiane Fernez lui propose plus qu’attendu : une "carte blanche" pour développer une collection en interne. "Quand j’y repense aujourd’hui, nous étions tous fous", plaisante Guillaume Dorison. Au fil de 300 pages, Shogun Mag proposait entre 20 et 30 séries, vendues à près de 4 euros dans des kiosques et quelques librairies. Le premier numéro est tiré à 30 000 exemplaires et comprend différents genres, avant d'être divisé en trois magazines dédiés au shonen, au seinen et au shôjo. Guillaume Dorison l’imagine alors comme "un laboratoire de R&D pour les auteurs". Il sert aussi à faire la promotion des tomes qui seront publiés. Mais ces derniers ne rencontrent pas le succès attendu de la part du public.

Mind de Dave-X, Acid-B et Shupak - Shogun Mag (Les Humanoïdes associés)
Extrait de "Mind" par Dave-X, Acid-B et Shupak dans le magazine Shogun Mag- Photo LES HUMANOÏDES ASSOCIÉS

Deux ans et 14 numéros plus tard, le projet prend fin. "Je suis étonné que ça ait duré aussi longtemps, pour que ça marche, il fallait une locomotive", analyse Guillaume Dorison. Une position partagée par Ahmed Agne, le directeur éditorial de Ki-oon : "Il ne faut pas être naïf, la force de frappe d'un manga de création est bien moindre que des séries comme My Hero Academia qui sont des produits d’appels.” L’éditeur a instauré ce modèle mixte dans “Nova” une plateforme de prépublication lancée la semaine dernière. Idem pour AnkaManga, un magazine gratuit proposé depuis 2022 par Ankama, qui mixe des nouveautés avec des succès comme Radiant. Pour la directrice éditoriale Elise Storme, le lancement d’un magazine de prépublication spécialisé avec des auteurs non publiés reste "trop risqué".

Guillaume Dorison nuance : "Nous voyons des auteurs influenceurs qui ont déjà une communauté autour d’eux pour les soutenir aujourd’hui". Devenu scénariste, il a signé avec un ancien auteur de Shogun Mag, Massimo Dall'Olgio, au sein de Monthly Afternoon, un magazine de prépublication de l’éditeur japonais Kodansha. "Une boucle qui se ferme."

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