21 NOVEMBRE - ESSAI France

Lorsque René Descartes commence sa correspondance avec Elisabeth de Bohême, il a 47 ans. La jeune princesse en a 22 de moins et elle souffre de "mélancolie hypocondriaque". Nous sommes en 1643 et, pendant sept ans, cette relation épistolaire va constituer ce que Yaelle Sibony-Malpertu identifie à une psychothérapie.

Le philosophe soldat qui a traversé l'Europe fait une pause aux Pays-Bas avant de s'éteindre chez Christine de Suède. C'est l'occasion pour lui de s'intéresser au mécanisme des passions, aux relations entre l'âme et le corps. Sur ce terrain, Elisabeth le pousse dans ses retranchements. Plus cartésienne que Descartes, la princesse palatine ne va rien lâcher.

Elle le questionne ; il est sommé de répondre. Il lui dit qu'il y a danger à ressasser des pensées tristes. Il veut qu'elle guérisse, qu'elle retrouve du plaisir à la vie, qu'elle s'aime, elle et son corps, qu'elle ne soit plus le jouet de ses passions, mais qu'elle prenne conscience de cette sensibilité.

Pour l'aider à trouver des réponses à ses interrogations et à ses souffrances, l'auteur du Discours de la méthode va plonger en lui-même, au-delà du fameux "Je pense donc je suis". C'est donc bien ce qu'il y a dessous Descartes qui est montré dans cet essai inspiré. En se livrant, René aide Elisabeth à se délivrer.

Le philosophe a perdu sa fille Francine et son père, Joachim ; Elisabeth a été ébranlée par la conversion de son frère Edouard au catholicisme et par la décapitation de son oncle Charles Ier en Angleterre. L'importance de l'enfance et le phénomène de répétition sont clairement mis en avant dans l'exploration et la compréhension du traumatisme. Comment tout cela finit ? Lui, écrit Les passions de l'âme. Elle, entre en religion.

La psychanalyse appliquée aux oeuvres littéraires est rarement convaincante. Mais ici ce n'est pas une oeuvre, mais une relation qui est passée au crible freudien. C'est tout le mérite de cette biographie croisée de deux esprits qui s'interrogent aussi sur leur corps. Descartes n'est pas thérapeute dans cette histoire. Il apparaît comme une sorte de partenaire dans un échange dont il profite. Sans Elisabeth, il n'aurait pu accéder à ses propres idées. "Notre objectif est moins de faire passer Descartes pour un psychanalyste avant l'heure que de souligner la finesse de ses observations et la précision de sa démarche."

Yaelle Sibony-Malpertu travaille en tant que psychologue clinicienne en milieu hospitalier. De cette correspondance, elle a tiré une analyse thérapeutique très persuasive. Elle explique comment les deux protagonistes se sont reconstruits par la générosité envers eux-mêmes et bien sûr envers les autres. Une belle expérience dont on pourrait tirer un précepte de vie : ni se faire souffrir ni faire souffrir.

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