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Dialogues, la révolution de velours

Dialogues. - Photo © Simon Cohen

Dialogues, la révolution de velours

Qu'allait-il advenir de la librairie Dialogues après la mise en cause de son cofondateur? Racheté à l'été 2019 par Jacques Jolivet et dirigé par sa fille Cathy, le groupe de librairies brestoises opère une mue en profondeur. Portée par une double ambition : insuffler une nouvelle dynamique en interne et développer les activités en ligne.

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Par Cécile Charonnat
Créé le 20.03.2021 à 09h02

Mars 2018. Alors qu'il est train de préparer sa succession, Charles Kermarec, cofondateur et propriétaire des librairies Dialogues à Brest, est accusé d'agression sexuelle. Mis en examen quelques mois plus tard, le célèbre patron, figure marquante de la librairie française, se retire sur la pointe des pieds. Jacques Jolivet, un entrepreneur local, propriétaire depuis l'été des Enfants de Dialogues et du café Fleuriot, lui succède à la tête du groupe. Celui-ci est alors composé de la librairie de la rue de Siam, de la papeterie, de Dialogues musiques et de la plateforme Leslibraires.fr. Dans le courant de l'été 2019, cette dernière est cédée à Thomas Le Bras tandis que Jacques Jolivet rachète le reste du groupe. Désormais propriétaire de cinq magasins dont l'une des plus grandes librairies de France, il en confie la direction générale à sa fille Cathy.

Un an et demi plus tard, rien ne semble avoir vraiment changé dans le temple du livre brestois. Toujours aussi discrète voire secrète, Dialogues continue d'occuper jalousement son territoire. En novembre 2019, l'enseigne a par exemple ouvert un sixième magasin dans le nouveau quartier des Capucins. Mais, en interne, des mutations s'opèrent. Management « plus humain », procédures plus carrées, délégation plus large des responsabilités, réaménagement de l'espace de vente, roulement parmi les responsables des rayons et adhésion à un groupement mutualisé de libraires, la volonté de casser les habitudes et d'enclencher une nouvelle dynamique s'affirme progressivement. En 2021, galvanisé par les expérimentations menées durant la crise sanitaire, Dialogues d'accélérer le mouvement.

Les éditions du Parapluie jaune: Jouer la complémentarité

Charles Kermarec a créé les éditions Dialogues. Cathy Jolivet lance celles du Parapluie jaune. L'objectif : élargir la palette des activités du groupe en misant sur la complémentarité. « Nous n'avons pas l'ambition de construire un catalogue très fourni mais de travailler en fonction des opportunités », explique la directrice générale. Essais, romans ou jeunesse à destination des enfants ou adultes, Brestois ou gens de passage, Cathy Jolivet ne « s'interdit rien » tant que les projets respectent la ligne éditoriale adoptée : un ancrage territorial qui peut passer autant par l'origine des auteurs que par le sujet traité. Inaugurée l'été dernier avec un poster à colorier de l'illustrateur brestois Mouk, la toute jeune maison a publié en février Partir, un livre « inclassable ». Un album jeunesse devrait suivre au printemps.

Bousculer les certitudes avec le pôle culturel Les Curiosités

Arrivés avec la volonté d'apporter du sang neuf dans le groupe, Cathy et Jacques Jolivet ont façonné un outil idoine avec les Curiosités de Dialogues. Ouvert en novembre 2019 dans le nouveau pôle culturel et commerçant de Brest, le plateau des Capucins, le magasin de 330 m2 n'obéit pas du tout au principe et à la philosophie des autres librairies Dialogues. Son assortiment hybride de livres, de jeux et jouets, DVD et papeterie offre plutôt « la quintessence de Dialogues », précise la directrice générale. Structuré par thématique, le concept repose sur un net parti pris des libraires qui « vont chercher de nombreuses anecdotes pour toucher les gens. Cela en fait une librairie décomplexante qui attire un public différent mais qui génère aussi beaucoup de potentialités en interne, analyse Cathy Jolivet. En bousculant des habitudes et des certitudes présentes depuis des années et en proposant une autre manière de faire le métier, ce projet anime, stimule et renforce la cohésion de l'ensemble des équipes, qui entretiennent d'ailleurs des rapports étroits. Les libraires des Curiosités viennent régulièrement travailler dans le navire amiral rue de Siam. »
Inaugurés à l'aube du premier confinement, les Curiosités n'ont pas pu déployer l'entièreté de leur potentiel, notamment en termes de fréquentation. « Mais les retours clients démontrent beaucoup de points positifs, ce qui nous rend très confiant pour la suite », assure Cathy Jolivet qui compte bien faire de cette structure la tête de pont du groupe.

Ventes en ligne : Conforter les positions

Déjà très opérationnelle sur Internet, Dialogues entend y renforcer sa présence et conforter ainsi le chiffre d'affaires du groupe. Une stratégie confirmée par les confinements qui ont « montré qu'il était possible de faire de ce canal un levier de croissance. Il y a du chiffre à aller chercher par ce biais-là », assure Cathy Jolivet. La directrice générale en est d'autant plus convaincue que 2020 et ses turpitudes ont « constitué un véritable laboratoire sur ce sujet et nous ont permis d'avancer plus vite que prévu. » Développement des outils, intensification de la communication et renforcement de la médiation et de l'animation sur Internet sont au programme de cette année. Premier exemple, les rencontres virtuelles, inaugurées pendant le premier confinement, ont fait leur réapparition à l'automne et se poursuivent alors qu'une réflexion est engagée sur la dématérialisation, partielle ou totale, du festival estival créé par Dialogues en 2017, Les Eclaireurs.

Cathy Jolivet, directrice générale de Dialogues: « Continuer à faire grandir cette institution »

Près de deux après avoir repris la librairie brestoise, et un an après avoir pris pleinement les pouvoirs, Cathy Jolivet dresse un premier bilan.

Vous assurez la direction générale du groupe Dialogues depuis l'été 2019, date à laquelle le rachat par votre père, Jacques Jolivet, est effectif. Comment avez-vous vécu cette première année d'activité ?

Cathy Jolivet, directrice générale de la librairie Dialogues, à Brest.- Photo © SIMON COHEN

Elle a été chahutée, comme partout ailleurs, mais dans l'ensemble, la reprise se passe plutôt bien. Côté financier, le chiffre d'affaires global est en léger retrait, à 11 millions d'euros hors taxe pour l'ensemble du groupe, mais au vu du contexte général et de la tendance dans les librairies de notre taille, nous ne sommes pas inquiets. D'autant que le démarrage des Curiosités de Dialogues, aux Capucins, se révèle très prometteur.

Vous avez repris les librairies dans un contexte délicat. Quelle politique avez-vous adoptée ?

Face à cette situation inédite à bien des niveaux, nous avons tout mis en œuvre pour que la transition s'effectue au mieux. Et pour cela, nous avions un immense atout : une équipe déjà en place dotée de compétences très fortes. Notre première volonté a été de travailler main dans la main avec elle, et pour elle. Parallèlement, nous nous sommes employés à insuffler une nouvelle dynamique en apportant un autre regard, une autre vision. Dialogues est une formidable institution et nous avons vocation à continuer à la faire grandir et à écrire de nouveaux chapitres à cette histoire.

Quelle en est la traduction  en magasin ?

Nous misons sur une croissance organique. Notre but est donc d'aller chercher du chiffre d'affaires dans nos métiers. Au cœur de cette stratégie, nous plaçons évidemment le concept des Curiosités de Dialogues. Inédit, ce magasin nous permet tout à la fois de toucher un public différent et de rayonner sur un nouveau quartier de la ville. Cela ne signifie pas pour autant que nous délaissons notre navire amiral rue de Siam. Depuis la reprise, nous améliorons constamment son environnement. Progressivement, l'aménagement évolue : les caisses sont repensées, les rayons sont déplacés et les libraires qui les gèrent bougent également.

Les rencontres constituent un axe fort de l'identité de Dialogues. Comment vont-elle évoluer ?

Malgré la crise sanitaire et les contraintes qu'elle nous impose, nous n'avons pas voulu rompre avec ce qui fait l'ADN de nos librairies : être un lieu de vie et un espace de rencontre entre des lecteurs et des livres. C'est pour cela que nous avons basculé les conférences et les débats en virtuel, une initiative à laquelle les éditeurs sont d'ailleurs très attentifs. Cet aspect participe d'une ambition plus globale sur laquelle nous sommes volontaristes : donner une coloration culturelle aux Brestois et aux touristes sur des sujets extrêmement variés.

En janvier 2021, vous avez intégré le groupement Libraires ensemble, une démarche inédite pour Dialogues qui a longtemps eu la réputation de faire cavalier seul. Qu'en attendez-vous ?

Faire partie de Libraires ensemble donne la possibilité à nos équipes d'échanger et de partager avec d'autres spécialistes de rayons et mobilise chacun différemment. C'est une richesse de bénéficier des bonnes pratiques expérimentées dans la profession, cela nourrit notre quotidien. Au-delà de cet aspect, recréer du lien avec la profession nous a paru important. 2020 nous a prouvé que la chaîne du livre est solide et plutôt solidaire, mais nous avons encore beaucoup d'évolutions à vivre. Mieux vaut les envisager sous l'angle du partage et de l'entraide.

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