Après les grands chambardements de 2012 et 2013, l’année 2014 se révèle une période de consolidation pour plusieurs éditeurs français d’ésotérisme et de spiritualité. Il en va ainsi pour De Vecchi, vendu par Albin Michel en octobre 2012 à SDP-Le Livre club. "Nous avons retrouvé nos marques tout en essayant beaucoup de choses, et nous espérons atteindre, au minimum, le même chiffre d’affaires que l’an dernier", explique Didier Michelas, chargé de développement. La satisfaction est également de mise chez Piktos après le rachat, en juillet 2013, des éditions Grancher, qui ont progressé de 40 % au premier semestre 2014. Bussière, qui a changé de diffuseur en janvier 2014, quittant Dilisco pour DG Diffusion, vit aussi une année "test".
Entre tâtonnements et ajustements, le secteur se porte en fait plutôt bien. Chez DG Diffusion, le chiffre d’affaires en ésotérisme et spiritualités a augmenté de 26 % de 2013 à 2014. Au-delà, le marché se consolide autour de quelques leaders dont J’ai lu, le groupe Trédaniel ou encore Piktos. D’après les données de notre classement Livres Hebdo 2014 de l’édition française, plusieurs maisons spécialisées comme De Vecchi, Le Courrier du livre (groupe Trédaniel), Piktos et Guy Trédaniel font partie des vingt éditeurs les plus rentables. Mais l’offre éditoriale est aussi enrichie par une myriade d’éditeurs de taille plus modeste.
Produits d’appel
Longtemps réservé à un noyau dur d’initiés, le secteur s’ouvre de plus en plus au grand public. Dans cet esprit, Trajectoire poursuit sa collection de coffrets lancée en 2013. Le but est de séduire les néophytes en proposant un livre avec un produit associé (pendule, boule de cristal, cartes…). De Vecchi décline la collection "Cartomancie" sous forme de coffrets avec une politique de prix beaucoup plus agressive. Le tarot des Gitans et Le tarot des Egyptiens, parus en octobre, sont tous deux vendus avec un jeu de cartes à 9,90 euros. Des produits d’appel qui côtoient des ouvrages pour un public plus averti tel que Les secrets des tarots : lecture, interprétation, divination de Laura Tuan (octobre).
Car il ne s’agit pas de tourner le dos aux lecteurs fidèles et avertis, mais de trouver un équilibre entre titres accessibles et livres pointus. "Notre objectif est de publier des livres qui changent le paysage de l’ésotérisme en le démocratisant et en le clarifiant", explique Tigrane Hadengue, cofondateur en 2000 de Mama éditions, une maison portée sur le chamanisme et le channeling. Il lance d’ailleurs le 10 novembre la collection "Les essentiels". Point d’orgue de cette politique éditoriale, Mama éditions propose des calendriers perpétuels compilant l’essentiel d’un enseignement spirituel. Les premiers titres à paraître en novembre sont Seth parle : l’essentiel en 365 pensées et La nature de la réalité personnelle : l’essentiel en 365 pensées. "Nos lecteurs veulent plus tout en lisant moins : ce format est donc le trait d’union idéal avec des personnes qui ne sont pas encore initiées", précise l’éditeur. D’autres maisons proposent des condensés de sagesse, à l’image d’Almora avec 62 expériences de spiritualité quotidienne de José Le Roy et Lorène Vergne ou de Marabout avec ses Petites pensées pour voyager léger de Françoise Réveillet, tous deux publiés en octobre.
Le secteur se maintient aussi grâce aux passerelles qu’il établit avec le développement personnel dont le succès rejaillit sur l’ésotérisme et les spiritualités qui apparaissent comme d’autres voies à explorer pour les lecteurs en quête d’épanouissement. Le groupe Trédaniel offre un très bon exemple de la porosité entre ces différents domaines. D’abord spécialisé en ésotérisme, il s’est rapidement dirigé vers la santé et le bien-être sans pour autant abandonner sa thématique première comme en témoignent les rachats de Dervy en 2011, puis des éditions du Relié en 2012, deux maisons tournées vers les thèmes de la spiritualité. "L’ésotérisme pur représente un marché de plus en plus réduit, car le cœur de ce segment a été accaparé par des disciplines connexes comme le développement personnel", estime le P-DG, Guy Trédaniel.
Contenus hybrides
Chez J’ai lu, Ahmed Djouder, responsable de la collection "Aventure secrète" jusqu’à la fin de l’année 2014, souligne que la frontière entre les disciplines est parfois difficile à tracer. "Il arrive fréquemment que nous hésitions à placer certains titres dans la collection ésotérisme ou dans la collection bien-être. C’est notamment le cas pour les ouvrages du Dr Wayne W. Dyer qui propose des livres de développement personnel tout en abordant des notions liées au divin", détaille-t-il. La collection ésotérique de l’éditeur de poche a ainsi accueilli en septembre son livre intitulé Changez vos pensées, changez votre vie : le bonheur selon Lao-Tseu.
Des livres au contenu de plus en plus hybride voient donc le jour. Dans cette veine figurent notamment Le travail d’une vie : quand psychologie et spiritualité donnent un sens à notre existence de Thierry Janssen (Marabout), Clarté : dans la vie quotidienne de Candice O’Denver (Originel-Charles Antoni, novembre), ou encore Conscience : s’inscrire dans la symphonie du monde de Marie-Andrée Destré (Résurgence, novembre) qui propose des outils pour progresser, sortir d’une difficulté, et prendre conscience de sa place dans le monde.
Ce rapprochement avec le développement personnel donne par ailleurs naissance à des titres plus pratiques vendus à petit prix. Bussière, reconnu pour ses ouvrages sur la magie et les prières, rencontre un certain succès avec sa série Prières actives. Lancée en 2013, elle propose des petits livres à 4,50 euros, tous signés par Rufine Sarah Bermond. Deux nouveaux titres sont attendus en janvier 2015 : Prières actives par les mérites de saint Joseph : pour la sécurité et la réussite au travail, ainsi que Prières actives par le pouvoir de la Sainte Croix : pour s’entourer d’un bouclier protecteur.
Le poids de la science
Bien que des ponts soient jetés entre les disciplines et que l’ésotérisme s’adapte toujours plus au grand public, la plupart des maisons spécialisées restent concentrées sur des thématiques traditionnelles. L’univers de la franc-maçonnerie demeure ainsi une valeur sûre. Une multitude d’ouvrages abordent la célèbre société secrète, tels que Les pas des francs-maçons de Joël Jacques (MDV éditeur), Franc-maçonnerie et kabbale de Marie Delclos (Trajectoire, novembre), La tradition des francs-maçons : histoire et transmission initiatique de Dominique Jardin (Dervy), ou encore Franc-maçons d’Orient d’Alain Lequien (Dhow éditions, décembre). Démonologie et sorcellerie restent aussi bien présentes dans la production, de même que l’angéologie. Exergue propose plusieurs titres dans le domaine dont L’ange des rêves de l’incontournable Doreen Virtue, L’amour des anges de Lorna Byrne et Prières aux anges : comment demander l’aide du ciel pour créer des miracles de Kyle Gray.
Si la plupart des éditeurs généralistes ne s’aventurent pas sur des thèmes aussi pointus, ils sont quelques-uns à proposer des titres ésotériques. Michel Lafon suit notamment son auteure fétiche, la médium Patricia Darré. Après Un souffle vers l’éternité : je voudrais partager mes messages de l’au-delà (2012) et Les lumières de l’invisible : je voudrais vous parler de la vie éternelle (2013), tous deux vendus à plus de 60 000 exemplaires, l’éditeur a publié en septembre L’invisible et la science : quand les scientifiques rencontrent l’au-delà. La jeune maison d’édition Espaces & Signes, créée en 2014 afin de faire découvrir les cultures du monde, propose parmi ses quatre premiers titres Irq Bitig, la première traduction en langue française d’un jeu divinatoire turk-ancien datant du Xe siècle. "Ce livre a plusieurs facettes mais nous avons souhaité mettre l’accent sur le jeu et la divination pour toucher le grand public", explique l’éditrice Caroline de Peyster. Une démonstration du pouvoir de séduction de l’ésotérisme. L’éditeur de livres d’art Taschen surfe lui aussi sur la vague de la prédiction avec Dali, tarot, un jeu de tarots dessiné par Salvador Dali et accompagné d’un livret de l’auteur allemand Johannes Fiebig. De son côté, La Martinière poursuit sa collection "Expériences extraordinaires", créée en avril 2013 et dirigée par Stéphane Allix, fondateur en 2007 de l’Institut de recherche sur les expériences extraordinaires (Inrees). Deux nouveaux titres sont parus en septembre 2014 : La réincarnation : une enquête aux frontières de la mémoire de Miriam Gablier et Enfance et surnaturel : une enquête aux frontières du merveilleux de Samuel Socquet.
Car la science s’invite de plus en plus dans l’édition ésotérique qui tend à crédibiliser ses thèmes. Une recherche de rationalité qui se traduit dans les titres de plusieurs ouvrages. Dervy a ainsi publié en octobre Réincarné : les preuves scientifiques de la réincarnation d’un pilote de la Seconde Guerre mondiale de Bruce et Andréa Leininger. J’ai lu publiera au format poche, en février 2015, La preuve du paradis : voyage d’un neurochirurgien dans l’après-vie d’Eben Alexander (Guy Trédaniel, 2013), tandis que Temps présent mise sur Yolande Dechâtelet : quand la voyance s’ouvre à la science de Natahlie Isaure (janvier 2015).
Timidité numérique
Pour aller chercher le lecteur, la librairie reste un canal privilégié. "A l’heure où les consommateurs achètent de plus en plus sur Amazon, il est bon de remettre les auteurs au cœur de la librairie afin qu’ils rencontrent leurs lecteurs. Ça entre aussi dans notre démarche artisanale à taille humaine", estime Anne-Laure Le Lidec, directrice générale de Bussière qui prévoit d’ailleurs de redonner un coup de jeune à sa librairie parisienne. L’éditrice avoue en revanche être moins à l’aise sur la question du numérique. "Nous ne nous sentons pas pressés", dit-elle.
Un sentiment partagé par de nombreux éditeurs spécialisés qui n’ont pas encore franchi le pas. "Nous sommes très attentistes, reconnaît Philippe Lahille, directeur éditorial du groupe Piktos, nous numérisons seulement certains titres, et si la demande explose, nous suivrons." L’éditeur investit cependant les réseaux sociaux, qu’il juge indispensables à la promotion des livres. Certains, comme Guy Trédaniel et Mama éditions, numérisent pourtant systématiquement leur production. Le numérique représente alors entre 1 et 3 % du chiffre d’affaires total. Mais la timidité reste pour l’instant de mise dans l’édition d’ésotérisme et de spiritualité. Même si investir ce format pourrait être un moyen pour les éditeurs spécialisés de sortir un peu plus du bois pour s’offrir aux regards curieux du grand public et gagner de nouveaux lecteurs.
L’ésotérisme en chiffres
Librairie : les cinq clés du succès
En 26 ans d’existence, la librairie de l’Inconnu (Paris 6e) s’est imposée comme un repaire de passionnés. Malgré la crise, son chiffre d’affaires se maintient et sa clientèle s’agrandit. Son responsable, François de Mirbeck, donne cinq recettes pour développer les domaines de l’ésotérisme et des spiritualités.
1. La qualité d’abord
La librairie de l’Inconnu mise sur une offre éditoriale riche, qui se bonifie d’année en année. "La qualité des livres va croissant et les thèmes abordés gagnent en crédibilité grâce à des auteurs sérieux, se félicite François de Mirbeck. Aujourd’hui, pour un titre qui évoque les expériences de mort imminente, les éditeurs privilégient un écrivain qui a aussi la casquette de médecin ou de réanimateur." Une caution scientifique qui rassure et permet de conquérir de nouveaux lecteurs.
2. Des auteurs accessibles
L’attitude des auteurs peut aussi être un vrai atout pour valoriser l’ésotérisme. "Prenons l’exemple de Patricia Darré, propose le libraire. Nous l’avons reçue pour une dédicace à l’occasion de la sortie de son deuxième livre : deux cents personnes l’attendaient à la librairie, raconte- t-il. Ces auteurs-là, agréables à lire et humbles dans leur démarche, nous aident dans notre métier en proposant des livres accessibles à tous."
3. Une offre diversifiée
"Il y a quelques années, nous étions encore une librairie strictement orientée vers l’ésotérisme, se souvient François de Mirbeck. Nous nous sommes ouverts à la spiritualité et au développement personnel car ces domaines se font écho, l’un peut rebondir sur l’autre." Cette ouverture de l’offre donne l’occasion aux lecteurs de piocher dans toutes les disciplines. Elle a permis de dépoussiérer l’image des librairies ésotériques, attirant un lectorat plus varié et plus jeune.
4. Des objets, des gris-gris
Les coffrets occupent une bonne place sur les rayonnages de la librairie de l’Inconnu. Aux livres sont souvent associés un jeu de cartes, une boule de cristal ou encore un pendule. "Ce sont des produits d’appel qui marchent très bien pour un public non initié", assure le libraire. Le lieu regorge d’autres curiosités et objets destinés à purifier son corps, son intérieur ou à se relier au divin. Encens, neuvaines, lotions, bougies, parfums… La vente de ces produits représente 50 % du chiffre d’affaires du magasin.
5. Vendre aussi à distance
A la librairie de l’Inconnu, une personne s’occupe à temps plein de la vente à distance, qui compte pour 40 % du chiffre d’affaires de la librairie, 30 % provenant des ventes sur Internet. Les expéditions s’effectuent dans le monde entier, pays du Benelux et Dom-Tom en tête.
