En publiant l’an dernier Le garçon aux icônes, son premier roman initialement publié en Angleterre en 1976, Grasset a permis aux lecteurs français de découvrir Desmond Hogan, le grand "maudit" de la littérature anglo-irlandaise contemporaine. Issu de la génération des Rushdie, McEwan ou Ishiguro, dont il fut un temps proche, Hogan était peut-être le plus doué d’entre eux. L’imparfait est ici de rigueur, tant après ses débuts fracassants et quatre ou cinq livres, Hogan n’a plus mis d’énergie qu’à disparaître tout à fait de la scène littéraire, quittant d’abord Londres pour l’Irlande, son pays natal, ne tolérant d’autre moyen de communication que les cartes postales, suscitant les rumeurs les plus diverses et ne défrayant plus que la chronique judiciaire. Un Tony Duvert de la verte Erin, en somme.

Les feuilles d’ombre, qui paraît aujourd’hui, apporte l’éclatante confirmation de la puissance romanesque et poétique de Desmond Hogan, servie par une traduction au diapason de sa subtilité. C’est un récit générationnel, tissé de magie, de mystère, d’ombres portées. L’histoire de deux amis narrée par l’un des deux, parvenu sur la rive opposée de sa vie, deux enfants encore dans une petite ville proche de Dublin vers la fin des années 1940. Liam et le narrateur sont nés du bon côté du plafond de verre. Cela ne les prémunira en rien de la douce amertume des illusions perdues. Surtout pour Liam, beauté du diable, charisme fait homme, dont la mère, une fille de réfugiés russe, fantasque, amoureuse, finira noyée au fil de l’onde pure d’une rivière d’Irlande.

Il y aura tout de même de beaux lendemains, des fêtes, deux filles, Christine et l’impérieusement belle Sarah, Jamesy, un garçon qui souffre d’avoir dû quitter Hollywood pour Dublin avec son père comédien. Il y aura les années 1950. Il y aura partout, à chaque phrase, chaque chagrin, la jeunesse, unique objet de l’attention romanesque d’Hogan. Ce qui sans doute peut justifier qu’il ait cessé d’écrire après avoir cessé d’en être. Olivier Mony