Spécialistes du bâtiment et auteurs de plusieurs dizaines d’ouvrages de référence, dont Le grand livre de l’électricité, L’installation électrique ou encore Mémento de schémas électriques, David Fedullo et Thierry Gallauziaux (450 000 exemplaires au compteur) ont au moins un point commun avec Raphaëlle Giordano, coach en créativité propulsée vers la célébrité en un seul best-seller surgi en 2015, Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en a qu’une : Eyrolles, qui les publie.
Ce grand écart éditorial illustre l’évolution de cette maison lancée en 1920 par Léon Eyrolles, conducteur de travaux des Ponts et chaussées, dirigée aujourd’hui par Marie Pic-Pâris Allavena, diplômée de l’Essec, passée par la banque et les ressources humaines, entre autres métiers. Nièce par alliance de Serge Eyrolles, président de ce groupe familial qu’elle a rejoint en 2007, elle a accéléré la mutation amorcée au milieu des années 2000 autour du pratique, prolongée vers des thèmes grand public. "Cette image historique d’éditeur adossé à une culture d’ingénieurs nous a permis de rassembler des auteurs passionnés, qui traitent leur sujet d’une façon professionnelle, que ce soit pour le tricot, la couture, la pédagogie, le développement personnel, etc.", se félicite la directrice générale.
Un groupe éclectique
Fruit d’un pragmatisme qui pourrait s’intituler la "méthode pourquoi pas", l’entrée en fiction est formalisée par la création cette année d’une collection intitulée "Pop’ littérature", qui comptera 15 à 20 nouveautés et matérialisera auprès des libraires la diversification la plus étonnante de ce groupe éclectique. "Tous nos auteurs de développement personnel proposent maintenant des manuscrits, nous sommes très sollicités", remarque-t-elle, à la recherche d’originalité plus que de clones. Mais la suite dépend beauboup de Raphaëlle Giordano : celle qui s’est classée l’an dernier juste derrière Guillaume Musso en nombre d’exemplaires vendus (1,1 million de volumes, en grand format et poche) est très convoitée, notamment par Editis, déjà son éditeur en poche, chez Pocket. "La place entière la démarche, on voit qui sont les vrais amis, ça met à nu la nature des relations. Mais nous entendons bien continuer à l’accompagner", commente Marie Pic-Pâris Allavena, que la stabilité des relations avec les auteurs de livres techniques pratiques n’avait pas habituée à la versatilité des mœurs littéraires.
"Nous avons réalisé une très bonne année 2017, avec un chiffre d’affaires global en hausse de 5 %, soutenu par une forte croissance de l’édition, et pas seulement grâce aux romans de Raphaëlle Giordano", insiste la directrice générale. Entre les ventes de son premier livre restées à un niveau exceptionnel et celles du deuxième (Le jour où les lions mangeront de la salade verte) encore très honorables, l’ex-auteure phare d’Eyrolles totalise près de 380 000 exemplaires en 2017. Il faut y ajouter les droits étrangers, poche et cinéma.
Le chiffre d’affaires consolidé atteint environ 48 millions d’euros, proche des records de l’histoire du groupe dont les ouvrages occupent pourtant rarement les tableaux de meilleures ventes : ce sont des best-sellers au long cours, de diffusion basse mais très stable. "Au 1er janvier de chaque année, nous pouvons compter avec une certitude raisonnable sur la réalisation de 60 % de notre chiffre d’affaires, hors nouveautés", assure la directrice générale. L’activité se répartit à peu près également entre la librairie (à Paris, Aix-en-Provence, le campus de l’Essec, et sur Internet), l’édition et la diffusion.
Auparavant département d’Eyrolles, Geodif est filialisé depuis 2015. "Nous étions la seule maison encore dans cette situation, avec une diffusion totalement interne, cette nouvelle organisation était nécessaire", rappelle Marie Pic-Pâris Allavena. La distribution reste confiée à la Sodis (groupe Madrigall). La filiale emploie 37 salariés, dont une équipe de 15 représentants sur le terrain, sous la responsabilité de Nathalie Gratadour, directrice commerciale.
L’an dernier, Geodif a progressé de 5 %. En 2016, elle avait réalisé 33,4 millions d’euros de chiffre d’affaires (+ 12,7 %) et 1,6 million d’euros de bénéfice net (+ 65 %). La moitié de cette activité est interne et vient des livres du groupe, qui édite environ 400 nouveautés par an, et dispose d’un fonds disponible de 4 500 titres, selon electre.com. La centaine de maisons extérieures (environ 20 000 titres, selon electre.com) rassemble aussi bien des éditeurs professionnels que grand public (loisirs créatifs et beaux-arts). L’an dernier, le diffuseur a ajouté quatre éditeurs universitaires à son portefeuille (Presses universitaires de Rennes, François Rabelais, Septentrion et EHESP) ainsi que les éditions de Paris et Michel de Maule.
En édition (+ 8 % en 2017), le groupe publie désormais sous la seule marque Eyrolles, celle des Editions d’organisation étant abandonnée. Caractérisée par une structure souple, où les éditeurs ne sont pas cantonnés à un secteur strict pourvu qu’ils apportent de bonnes idées, la maison s’est étendue très largement au-delà des secteurs professionnel et technique, son socle historique, et établit des communautés entre gens de métier et amateurs très avertis, dans un continuum vers le grand public. Ce segment est le plus foisonnant, entre les loisirs créatifs, le bien-être et la santé, la psychologie, la culture générale, la pédagogie, etc. : "Nous sommes les premiers éditeurs sur la méthode Montessori, et nous sommes très présents sur les pédagogies alternatives", insiste Marie Pic-Pâris Allavena, qui avait créé au milieu des années 1990 Futurekids, un réseau d’écoles informatiques pour enfants.
Sur le cours Mirabeau
La librairie est globalement à l’équilibre, mais l’unité d’Aix-en-Provence pose cependant de "gros soucis, en raison des hausses de loyer constantes imposées par les propriétaires. La mairie devrait protéger les activités culturelles, ou encadrer les loyers du cours Mirabeau [l’artère prestigieuse d’Aix où se trouve la librairie de Provence, appartenant à Eyrolles], regrette la DG. A Paris, la librairie du boulevard Saint-Germain n’a pas ces problèmes : elle est dans les murs du groupe, au rez-de-chaussée et au sous-sol du grand immeuble à la façade de brique, qui totalise 10 000 m2 de plancher, un patrimoine considérable au cœur de Paris. L’Ecole supérieure des travaux publics, fondée en même temps que le groupe, en est maintenant totalement séparée et a libéré le bâtiment dont le dernier étage est loué par la New York University. Le reste des locaux non occupés par le groupe est transformé en bureaux temporaires dotés de services communs baptisés Le Bloc, une diversification d’activité gérée par Paul-Antoine Eyrolles, le fils du président du groupe Serge Eyrolles, chargé du développement.
Le groupe explore aussi d’autres diversifications à partir de ses ouvrages professionnels vers les moocs, en partenariat avec Coorpacademy. Et il a lancé BusinessVox, une bibliothèque numérique à destination des professionnels, sur le modèle de l’accès en streaming, en partenariat avec Cyberlibris. Le numérique, qu’Eyrolles fut un des premiers à tester, représente 8 % du chiffre d’affaires, bien au-dessus de la moyenne de l’édition.