Si c'était à refaire, Jean-Marie Goater n'hésiterait pas. En 2009, l'éditeur crée sa maison d'édition et Le Papier Timbré, un café-librairie installé rue de Dinan, à Rennes. « Le projet était de lancer les deux en même temps et d'autonomiser chaque entité à un moment donné, raconte celui qui s'est séparé du café-librairie en octobre 2020. C'est un modèle rare, mais qui fonctionne ! », assure-t-il.

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Laure Pascarel, coprésidente des éditions Utopia et référente de la librairie, ouverte en 2021 à Paris.- Photo © UTOPIA

Le Papier Timbré, dont la sélection s'était recentrée sur le catalogue des éditions Goater et ceux d'éditeurs régionaux, accueillait concerts, rencontres et projections. De quoi soutenir financièrement la maison d'édition, qui ne représentait alors qu'un tiers du chiffre d'affaires total de la société. « Vendre le café-librairie m'a non seulement permis de consacrer plus de temps et d'énergie à l'édition, mais aussi de dégager une somme importante pour alimenter la trésorerie de la maison », explique Jean-Marie Goater. Une complémentarité financière que constatent aussi les éditions Libertalia avec la librairie généraliste éponyme, ouverte à Montreuil en 2018, soit plus de dix ans après leur création. « Pendant longtemps, l'activité éditoriale a financé la librairie, mais ces derniers temps, c'est plutôt l'inverse », relate Nicolas Norrito, qui est à la fois éditeur et gérant de la librairie.

Rompre la solitude

Si l'aspect financier est important, il n'est pas toujours moteur dans l'ouverture d'un espace de vente. « Compte tenu du loyer et de son hyperspécialisation, la librairie ne peut être que déficitaire. Ce qu'on voulait, c'était avant tout de la visibilité pour les éditions et un lieu de débats », assume d'emblée Denis Vicherat, coprésident des éditions Utopia, nées en 2010 du mouvement du même nom. Cette association, qui vise à élaborer un projet de société solidaire et écologique, a ainsi ouvert en novembre 2021 sa librairie, L'Atelier des nouveaux récits, dans le Quartier latin à Paris, grâce à un crowdfunding de plus de 28 000 euros. Un lieu de 100 m2 ouvert 28 heures par semaine, qui abrite 1 500 références sur l'écologie, ainsi qu'un espace de rencontres et de réunions.

À Marseille, la librairie Wildproject, elle, ne présente que les livres de son catalogue. « C'est plutôt le showroom de la maison. Tenir une librairie deviendrait un job à part entière, en concurrence avec des librairies que nous aimons beaucoup », précise Baptiste Lanaspeze, fondateur des éditions Wildproject, dédiées aux pensées de l'écologie. « Avoir une maison qui a pignon sur rue était un vieux rêve, confie l'éditeur, qui a trouvé le local idéal en 2021. De 2009 à 2019, j'étais tout seul dans ma grotte à faire des livres. Nous arrivions à un moment où nous avions envie d'être en contact avec les lecteurs. » Et si la librairie ne représente qu'environ 5 % du chiffre d'affaires, elle a d'ores et déjà montré son intérêt. « Être en situation de libraire nous permet de voir les angles morts de notre catalogue. Cela nous a confortés dans l'idée d'avoir plus de livres grand public », illustre Baptiste Lanaspeze, qui se réjouit par ailleurs de « créer des liens avec un quartier militant ».

Un modèle déclinable

Un ancrage territorial et politique que revendiquent aussi les Éditions du Commun, sociétaires de la librairie coopérative L'Établi des Mots, située dans le quartier rennais du Blosne. En 2020, Benjamin Roux, éditeur aux Éditions du Commun, est à l'initiative du projet. « Il s'agissait de penser l'écologie du livre à l'échelle de notre quartier, où il y avait notamment nos bureaux, une bibliothèque, mais pas de librairie », retrace-t-il. Si la librairie est complètement indépendante de la maison, les deux restent très proches, tant par les événements qu'elles organisent que par les valeurs qu'elles portent. Cette relation privilégiée, Jean-Marie Goater en bénéficie encore avec Le Papier Timbré, où les livres de la maison ont toujours leur « corner ». Certes, la gestion d'un café-librairie est chronophage, mais c'est aussi « un modèle intéressant et déclinable dans une logique de maisons territorialisées », estime Jean-Marie Goater. Une bonne façon, enfin, de « dépoussiérer l'image de l'édition ».

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