La possibilité d'une vie. Le Seuil avait annoncé, pour ce printemps, L'effondrement, où Édouard Louis traiterait de son frère aîné, mort de l'alcool à 38 ans. Il nous faudra encore patienter jusqu'à l'automne pour ce livre-là, un autre s'y étant substitué, en urgence, d'une certaine façon. Le jeune écrivain (né en 1992) travaillait en fait sur deux textes en même temps, et c'est le second, Monique s'évade, qui s'est imposé à lui. « Ce livre, c'est en quelque sorte une commande de ma mère », confie-t-il. Voici donc, après Combats et métamorphoses d'une femme (Seuil, 2021), la suite des aventures de Monique Bellegueule, mère d'Eddy devenu Édouard Louis. Ce qui, pour sa famille, n'est pas allé de soi. Sa mère, en particulier, avait très mal vécu son premier livre, En finir avec Eddy Bellegueule (Seuil, 2014) − qui remporta un succès phénoménal −, perçu comme un règlement de comptes, l'étalage d'une misère qu'elle jugeait exagéré. Pour le fils, en revanche, tout était rigoureusement authentique. Elle l'a compris par la suite.

On avait laissé Monique installée à Paris, en ménage avec le gardien d'un immeuble à Saint-Germain-des-Prés, et fumant même des cigarettes avec Catherine Deneuve ! Sept ans plus tard, patatras, le nouveau compagnon, avec qui elle s'était pacsée, se révèle à son tour ivrogne, grossier, violent, homophobe... Comme son premier mari, le père d'Eddy/Édouard. La mère, 55 ans à l'époque, appelle alors à l'aide son fils, qui venait de fêter ses 28 ans et se trouvait à Athènes pour une résidence d'écrivain. Comprenant l'urgence, il organise et paye tout, et l'aide à distance, avec l'appui de ses plus proches amis, à réussir un véritable tour de force : quitter son tortionnaire et partir s'installer dans le petit village du Nord où vit sa fille Clara, avec qui Édouard se réconcilie pour l'occasion. Elle aussi avait très mal vécu le récit par son frère de leur triste vie de famille. Pour la première fois, savourant un bonheur bien mérité, Monique va avoir sa petite maison à elle (en location), être dans ses meubles de famille, seule avec son petit chien Pocket, sans mari ni enfants dont il faut s'occuper. Libre, enfin.

Racontant cette histoire, remontant dans le temps (« Je suis devenu l'archéologue de ma mère », dit Édouard Louis), l'auteur nous livre un récit solaire, presque serein : à preuve, l'épisode émouvant de leur expédition à Hambourg afin d'assister à la première de la pièce qu'un metteur en scène allemand a tirée de Combats et métamorphoses d'une femme. À la fin, Monique, intimidée mais rayonnante, monte sur scène et reçoit une standing ovation triomphale. Pour la première fois, elle prenait l'avion, allait au théâtre, fréquentait des artistes, des bourgeois, pénétrait dans l'univers que s'est construit son fils. Bouleversé, honteux d'avoir eu honte des siens, de sa famille, et souffrant encore de son enfance. Mais, comme il explique à un moment, « pas de souffrance dans mon enfance = pas de livres publiés = pas d'argent = pas de liberté possible ».  Ceux qui n'apprécient pas le travail d'Édouard Louis estimeront qu'il exploite encore le même filon. Ceux qui l'aiment et le suivent depuis ses débuts noteront le ton apaisé, la maîtrise formelle et stylistique du texte, et attendent déjà L'effondrement.