Ecrit au Liban en 1936, soit juste après son retour, publié en 1937, Oasis interdites est un des livres cultes de la grande voyageuse suisse Ella Maillart (1903-1997), en particulier parce que l'édition d'origine comprenait 57 photographies en noir et blanc, prises avec un de ses Leica. Sublimes, forcément. Où on ne la voit jamais, ce qui peut se comprendre, mais où on ne voit jamais non plus son compagnon d'aventures, et c'est bien dommage. Il s'agissait de Peter Fleming, le frère de Ian, à qui, grand reporter pour le Times et aussi agent du MI6, il inspirera son personnage de James Bond. Ecossais, ancien élève d'Eton, totalement excentrique et toujours pressé, Fleming a raconté leur épopée dans Courrier de Tartarie.
Quatre-vingts ans après, donc, reparaît le récit d'Ella Maillart, dans une édition collector. Oasis interdites, c'est un voyage absolument dément, de sept mois et 6 000 kilomètres, en train, camion, carriole, mais surtout à dos de mule, de chameau ou de cheval, depuis Pékin, d'où ils sont partis en 1935, jusqu'à Srinagar, capitale du Cachemire indien, les Indes étant alors encore britanniques. Ce qui leur a valu, de la part des autorités, un accueil VIP, et, enfin, tout le confort, l'hygiène et la nourriture conformes aux standards occidentaux. Auparavant, ils avaient vécu en sauvages, dans des conditions rudimentaires, acrobatiques voire dangereuses, affrontant le froid, la faim, et le risque permanent de se voir arrêter, expulser voire fusiller par quelque tyranneau local, en guerre contre le pouvoir central de Nankin, où gouvernaient le Kuomintang et Tchang Kaï-chek. On est dans la Chine du Lotus bleu, avec les Japonais au Mandchoukouo, les communistes, soutenus par les Russes de Staline, à l'ouest, et tout un tas de tribus, notamment musulmanes, en sécession ouverte. C'est là, d'ailleurs, qu'Ella Maillart et son compagnon avaient résolu de se rendre, dans ce Turkestan chinois en plein soulèvement, où les étrangers n'étaient pas autorisés. Elle, envoyée par Le Petit Parisien, lui par le Times. On imagine que les journalistes n'étaient guère bienvenus non plus.
Tout au long de son odyssée, jamais Ella Maillart ne se plaint ni n'insiste sur ses souffrances. Sur celles des peuples visités, en revanche, oui. Son seul regret : quitter sa chère Asie pour rentrer en Europe, dans un monde où elle ne se reconnaît plus et où les guerres menacent. Tout cela n'a pas pris une ride.
Oasis interdites : de Pékin au Cachemire, une femme à travers l’Asie centrale en 1935 - Préface de Nicolas Bouvier
Payot
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 22,80 euros; 416 P.
ISBN: 9782228922265