"Quand on est petit, on ne sait pas." Que la vie peut être cruelle, que les grands ont leurs tourments, que tout peut se briser en un instant. Marie est une petite fille qui rêve que sa mère lui fasse des câlins. Surnommée "Génie la folle", cette travailleuse acharnée est domestique agricole. "Ce n’était pas un endroit pour vivre, chez nous, avec tous ces saules partout et cette colline pleine de broussailles", affirme cette enfant d’une grande sensibilité.

La nature est aussi dure que leur condition, qui laisse peu de place à la tendresse ou aux émotions. Un milieu rural que l’auteure connaît bien, puisque ses parents étaient agriculteurs. Même si Inès Cagnati - aujourd’hui disparue - préfère labourer les champs littéraires, elle reste imprégnée par cette ambiance pesante. Sa langue est celle du silence. Celui qui s’instaure entre Marie et sa mère, comme un rituel que la fillette espère briser. Aussi la suit-elle partout tel un toutou. "Ne reste pas dans mes jambes", ordonne Génie. Un refrain qui prendra tout son sens plus tard, même si l’on devine qu’il porte un drame.

La vie de Marie "l’esseulée" est bercée par l’attente d’êtres aimés. Elle baigne dans une tension permanente, où règne "l’odeur sucrée et lourde" des confitures. A l’image de cette histoire narrée avec un mélange de naïveté, de lucidité, de douleur et de douceur. Publié une première fois en 1977, ce roman, d’une beauté noire et rare, mérite une seconde vie.

Kerenn Elkaïm