8 février > récit Pologne > W. L. Tochman

"La pauvreté est photogénique, on peut la photographier passivement…" Ou, au contraire, la saisir pleinement. Tel est le choix de Grzegorz Welnicki, un jeune photographe polonais, parti à Manille afin d’apaiser un deuil. Il se frotte à une société complètement marginalisée, l’Onyx. Un cimetière, où se terre une population négligée, voire invisible. D’une pauvreté absolue, elle constitue un monde plein de vie. Frappé par son regard poétique, le grand reporter W. L. Tochman le suit dans ces expéditions qui révèlent une facette bien sombre des Philippines. Comme s’il y avait "une frontière infranchissable" entre sa croissance économique et le dénuement le plus absolu.

Un dixième des habitants est analphabète et vit dans la précarité la plus complète. Prostitution, tourisme sexuel, pornographie, violence, guerre des gangs, drogue ou corruption, tout est permis. Les femmes et les enfants sont les moins bien lotis. "Zéro chance de quitter cette ville interdite, cette ville de l’escroquerie, des couteaux dans le dos et de la merde." Comment témoigner de cet enfer ? Tochman se sert de sa plume brûlante pour nous ouvrir les yeux. Au-delà des données concrètes, il dresse le portrait poignant de plusieurs va-nu-pieds. Leurs histoires frôlent le désespoir. Pourtant elles renferment un courage et une dignité extrêmes. Comme Ate Jo, défigurée et rongée par la polio, qui apprécie les objets livres car, "il paraît qu’ils parlent d’amour". Ou Angelina qui a transformé une sépulture en maison. "Tu ne connaîtras nulle part une liberté pareille", avoue-t-elle au journaliste stupéfait par ce cimetière surpeuplé.

La moitié des résidents ont moins de 12 ans, mais on y trouve parfois des êtres d’une beauté incroyable. Comme si l’humanité parvenait toujours à se frayer un chemin infime pour exister. La réalité nous saute à la figure, telle une grenade de mots dégoupillés à chaque ligne. On songe par moments à l’écriture fracassante et engagée de William T. Vollmann. On sent à quel point "la stratégie de la survie" chez les plus faibles est impérative et dérangeante, aux confins du possible.

K. E.

26.01 2018

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