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La séparation entre l’Enssib et l’Inet à propos de la formation des conservateurs territoriaux n’est pas un séisme majeur pour l’énorme majorité de nos contemporains. Chez les bibliothécaires en revanche, c’est un événement qui a retenu l’attention tant des représentants que d’une figure de la profession (par ailleurs directeur des études de l’Enssib) qu’est Bertrand Calenge. C’est l’unité d’un corps professionnel qui est touché et, à l’heure où les doutes sont nombreux sur l’identité des bibliothécaires, cette nouvelle n’a pas rassuré celles et ceux qui se sentent fragilisés par les mutations de notre monde.
 
Il ne s’agit pas d’entrer dans les détails du processus qui conduit à ce divorce mais de s’interroger sur ce qu’il signifie et sur ses conséquences. 
Rappelons-nous que l’Enssib a été précédée par l’ENSB à la fondation de laquelle présidait le constat justifié selon lequel il n’était pas possible, ni souhaitable ni judicieux, de former des bibliothécaires pour des bibliothèques de lecture publique dans le cadre de l’Ecole des Chartes qui était jusqu’alors la voie unique et prestigieuse de formation de l’élite des professionnels. Nous étions alors à l’aube de la création de milliers de bibliothèques publiques dans les villes et les quartiers alors en plein développement. Les idées de lecture publique existaient mais peinaient à s’inscrire dans la réalité des réalisations pour des raisons multiples mais aussi parce qu’une partie de la profession ne se reconnaissait pas dans ce nouveau « modèle » de bibliothèque. Cette tiédeur de nombre de conservateurs était ancienne et des figures fondatrices (E. Morel, les époux Grolier, etc.) s’y étaient heurtées. La création de l’ENSB était une victoire des « modernistes » sur les « conservateurs ». Etait-il nécessaire de former les directeurs d’établissement de lecture publique à la connaissance pointue des langues anciennes et autres éruditions ?

A l’aune de cette histoire, la disparition de la formation des conservateurs territoriaux à l’Enssib constitue-t-elle une bonne nouvelle ? Certes, l’Enssib a développé une activité de recherche largement autour de l’histoire du livre et des bibliothèques sans suffisamment prendre en compte les enjeux sociaux et territoriaux face auxquels les collectivités sont confrontées (individualisation, fractures territoriales, etc.). Mais il faudra alors que l’Inet traite de ces questions. Evidemment aussi, ce  divorce est le produit de la décentralisation. Les collectivités souhaitent avoir la main mise sur la formation de leurs cadres. Mais ce souci légitime n’impliquait pas logiquement le divorce. D’ailleurs une pluralité de raisons aurait justifié le maintien de l’union. 

D’abord, les bibliothèques sont confrontées à des défis communs. Le basculement de l’information de sa forme matérielle à sa forme numérique concerne les bibliothèques municipales autant que les SCD ou la Bnf. Il existe bien sûr des spécificités mais le cas général est le même. On peut glisser que si la Bnf montrait plus d’attentions aux bibliothèques territoriales, les responsables de l’Inet auraient un argument en moins pour séparer la formation des cadres territoriaux de ceux de l’Etat.

Ensuite, la numérisation de l’information produit une mutation considérable en fragilisant le cœur de définition des bibliothèques de leurs collections vers leur espace. Le confort, l’accueil, la diversité des espaces deviennent des évidences en même temps que des nécessités pour toutes les bibliothèques. On ne peut d’ailleurs qu’être frappé de la convergence des nouveaux espaces qu’il s’agisse de médiathèques, de BU ou de la BPI.  

Enfin, la population à laquelle s’adressent les bibliothèques est traversée par des différences mais là encore, des convergences fortes sont repérables dans les pratiques culturelles, les valeurs, les représentations, les fragilités économiques, les contraintes, etc. Qu’on soit directeur d’une bibliothèque municipale ou d’une BU, il est utile de comprendre ce qui l’anime pour pouvoir mieux lui rendre service. 

De façon accessoire, le temps de formation en commun pouvait être l’occasion d’une connaissance mutuelle des environnements respectifs de chaque type de bibliothécaires. C’était la possibilité de travailler plus facilement ensemble par la suite. De plus, à l’heure de la mise en avant de la mobilité entre les fonctions publiques, c’est une occasion ratée d’en créer les conditions…

A l’examen, on n’identifie donc pas de bonnes raisons à ce divorce… Au contraire on repère une large convergence d’intérêts qui devrait conduire, si ce n’est à un mariage d’amour, au moins à un mariage de raison. Pour filer la métaphore, comme au temps du mariage arrangé, les tutelles de ces deux acteurs devraient davantage veiller à leur intérêt bien compris en imposant ce mariage… 
 

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