Le journaliste italien Tommaso Debenedetti semblait à tu et à toi avec le gratin de la littérature mondiale. Au fil d’une soixantaine d’interviews publiées par un quotidien national comme Libero et une multitude de périodiques régionaux, il avait réussi à faire parler, en exclusivité, John Le Carré, Gore Vidal, Günter Grass, V.S. Naipaul ou Philipp Roth, mais aussi Elie Wiesel, Lech Walesa, Joseph Ratzinger. Beau palmarès, s’il n’était né d’une imagination débordante ! Il faut dire que notre reporter vedette enseignait le matin, tandis que ses après-midi étaient consacrées à la rédaction d’entretiens imaginaires qu’il vendait, en pigiste prodige, comme de véritables scoops — achetés souvent une petite fortune. Tout avait commencé avec Gore Vidal, qu’il n’avait pas pu rencontrer. La muse des faussaires lui avait alors inspiré les propos qu’aurait pu tenir l’écrivain américain. La supercherie ayant été publiée dans plusieurs titres, l’intéressé avait récidivé. Le Carré lui aurait ainsi confié son intention, en 2006, s’il avait eu la nationalité italienne, de voter Berlusconi. Le démenti du maître es-espionnage était passé inaperçu, et le public de la péninsule avait retenu une solidarité transnationale ainsi qu’artistique entre le romancier mondialement célèbre et un candidat à la fois patron de presse/éditeur/chanteur. Las, pour notre ingénieux falsificateur : les propos de Philip Roth proclamant récemment sa déception envers Barack Obama furent de trop. La Repubblica s’en mêla et voulut obtenir confirmation ; en vain. Debenedetti aurait pu être invité d’honneur aux Rencontres d’Aubrac, auxquelles le rédacteur de ce blog a participé, du 19 au 22 août : elles étaient cette année consacrées… à l’imposture littéraire. J’en ai profité pour aborder le cas de la plus extraordinaire mystification littéraire du XIXème siècle. Vrain Lucas (1818-1882) a fabriqué, de 1861 à 1869, plus de 27 000 fausses lettres pour le mathématicien Michel Chasles, collectionneur enragé, membre de l’Institut, et auteur d’un théorème fameux, qui est encore dans toutes les mémoires… Autant dire que, comparé à la productivité de Vrain-Lucas, notre Italien fait pâle figure. Vrain-Lucas a vendu à Chasles des lettres – en vieux français - de Cléopâtre à Jules César, de Charles Martel au « duc des Maures », de Rabelais à Luther, de Jeanne d’Arc, de Charlemagne, de Pascal au « jeune Newton » (tendant à prouver que Pascal était le véritable inventeur de la théorie de l’attraction), etc. Rien ne résistait au délire imaginatif de Vrain-Lucas, qui profitait de la « manie » de Michel Chasles, rêvant de posséder sous forme manuscrite, toute l’histoire de l’humanité… Les savants de tous pays, devant l’incohérence des pièces produites, portèrent en 1870 l’affaire devant les tribunaux. Les juges envoyèrent notre auteur en prison pour faux et escroquerie après avoir examiné des supposés écrits inédits de Molière, Sapho, Rabelais, Galilée… Pour l’heure, Denebedetti se moque publiquement du système de la presse italienne, peu regardante sur les sources de ses collaborateurs. Il envisage même d’aggraver son cas en éditant un volume réunissant ses coups d’éclat. Les poursuites judiciaires risquent de mettre fin à cette reconversion pourtant « naturelle », qui conduit traditionnellement le journaliste littéraire à signer des ouvrages de librairie de qualité insoupçonnable.

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