Europe est cette belle jeune fille que Zeus, énamouré et métamorphosé en taureau, enlève. L’Europe, celle des Vingt-huit, l’organisation née, après la guerre, d’une volonté de réconciliation et appelée "Union" avec le traité de Maastricht, a aujourd’hui beaucoup perdu de ses charmes. Pas sûr que le souverain des dieux soit encore séduit. Il faut dire que l’Europe n’a cessé de connaître des crises : économique (l’annus horribilis fut 2008), migratoire, politique. Une sortie de la Grèce menaçant la stabilité de l’euro avait plané ; le gouvernement hellène ayant accepté d’avaler l’amère potion d’un super plan d’austérité, exit le Grexit. Et en juin dernier, le référendum britannique a donné vainqueur le camp du Brexit.
Outre l’euroscepticisme endémique à l’Angleterre et exacerbé par la crise des migrants, il y a eu dans ce vote plus de colère que de raison, un rejet de la classe politique par les laissés-pour-compte de la mondialisation. Mais sur le continent, pourquoi tant de haine contre l’Europe ?
Dumping social, désindustrialisation, désengagement de l’Etat, croissance atone (l’exception allemande, à y regarder de plus près, ne tient pas vraiment du miracle) et taux de chômage à deux chiffres (chez les jeunes, jusqu’à 25 % de la population active)… Quel rapport avec la choucroute ? Tout, réplique Joseph Stiglitz. Et le Nobel d’économie et ex-conseiller économique de Bill Clinton de blâmer l’euro et l’Allemagne d’Angela Merkel en particulier. L’euro : comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe est un violent réquisitoire contre l’austérité qu’impose la convergence des déficits voulue par les fondateurs de la zone Euro (19 pays aux économies disparates) et un plaidoyer pour la croissance (la Banque centrale européenne obnubilée par l’inflation n’œuvre pas, contrairement à la Federal Reserve aux Etats-Unis, contre le chômage).
On a mis la charrue avant les bœufs, créé une monnaie commune avec taux de change et taux d’intérêt uniques, mais sans union bancaire avec fonds de garantie commun, mutualisation des dettes, etc. La catastrophe : l’euro n’a fait que creuser les écarts entre riches et pauvres et favorise la concurrence déloyale (l’Allemagne impose l’austérité mais ne partage pas ses excédents), empêche de dévaluer afin de redynamiser les exportations. Le fétichisme du déficit qui s’affuble en raisonnable "ménagère souabe", c’est de l’idéologie néolibérale, le fondamentalisme du marché dérégulé.
L’économie est pour Stiglitz avant tout politique : la politique du plein-emploi. Pour sortir du déclin, il propose un divorce à l’amiable, avec un euro grec ou un euro nordique, par exemple… Un euro flexible plus adapté à la situation macroéconomique de chacun. En ces prémices de campagne présidentielle, l’économiste américain s’invite dans les débats. S. J. R.