À l'origine de ce livre qui a mijoté pendant dix ans, il y a Georgette, la mère d'Eva Bettan. Et le désir de sa fille de conserver une trace de son art culinaire. Cette mère aimée et admirée, enfant dans le quartier juif de la médina de Marrakech, veuve à 27 ans, est la cuisinière en chef de ce recueil de récits et de recettes. Et son pain aux graines d'anis, sa salade de tomate cuite, son hachis parmentier, ses pamplemousses confits, ses boulettes à la tomate, son cake aux noix, sa tarte à la confiture de raisin et ses petites galettes salées, aux ingrédients mesurés en unité de verre à thé, sont désormais sauvés.
En cours de route, la critique de cinéma et responsable du prix du Livre Inter a décidé d'élargir son enquête en demandant à une cinquantaine de fils et filles d'évoquer à leur tour les souvenirs des plats de leur mère. Parmi eux, des anonymes amis, quelques professionnels - les chefs Stéphanie Le Quellec (un pot-au-feu) et Akrame Benallal qui a ajouté de la truffe blanche aux fameux vermicelles au lait -, le critique gastronomique François-Régis Gaudry, des cinéastes Palme d'or, des écrivains... On retiendra ainsi les contributions de Nathalie Léger (avec un « fondant rabelaisien » qui vous surprendra), Karine Tuil, Lydie Salvayre qui rend hommage à l'art d'accommoder les restes et à une emblématique tortilla de patatas, Amin Maalouf, Valérie Zenatti évoquant Aharon Appelfeld, Nathalie Azoulay... « Le goût de ma mère, c'était celui des Knacki et des Mon Chéri », retient quant à lui Iegor Gran. Le lauréat du Livre Inter 2018, David Lopez, le plus jeune des contributeurs, livre de son côté un texte tendre et drôle autour de la transmission au téléphone de la recette des « chichars », francisation par l'écrivain de l'espagnol chicharos (haricots au chorizo), où il s'agace de l'approximation des consignes données par celle qui, se souvient-il, « n'a pas toujours été la cuisinière qu'elle est aujourd'hui ». Car toutes les mères ne sont pas des cordons-bleus, comme le constate Geneviève Brisac dont la mère écrivaine « faisait des recettes avec des mots (mais rien d'autre) ».
« Un couscous d'anniversaire », une volaille rôtie du dimanche, des bananes flambées du samedi : simples ou sophistiquées, les recettes collectées racontent l'enfance, l'hybridation (Florence avec Naples, la Corse avec Lyon, l'Égypte avec le Liban, la Creuse avec l'Algérie, la Normandie avec le Maghreb...), parfois aussi l'impossible transmission. Beaucoup des récits qui les précèdent confient des histoires douloureuses d'exil, d'absence, de manque. Le goût de nos mères est fait d'amour et de nostalgie. L'été prochain, ces déclarations feront l'objet d'une série radiophonique sur France Inter.
Le goût de nos mères : 50 déclarations d'amour à la cuisine maternelle
Stock/France Inter
Tirage: 13 000 ex.
Prix: 19 € ; 272 p.
ISBN: 9782234091443