Récit

Si prestigieux soit un parcours terrestre − et à ce titre on peut considérer que Jean-Marie Rouart a tout réussi dans cette carrière littéraire qu'il avait décidé d'embrasser, dès l'adolescence, en mode « Chateaubriand ou rien » −, il est bien rare que ne demeure pas enfoui, au fond du cœur et de l'âme, quelque souvenir d'humiliation, d'échec, d'abandon, d'injustice subis ou simplement ressentis, qui vous ont marqué à vie. Un de ces traumas qui font la fortune des psys, et offrent à la littérature une réserve inépuisable de sujets depuis qu'est né le roman autobiographique, appelé aujourd'hui autofiction. Le XIXe siècle en a fait ses choux gras : Les confessions d'un enfant du siècle, Poil de carotte, la trilogie L'enfant, Le bachelier, L'insurgé en sont quelques exemples.

Rouart, lecteur boulimique depuis sa jeunesse, s'inscrit dans cette lignée postromantique. La plupart de ses livres, y compris ses romans, sont nourris de son vécu. Mes révoltes vient s'y ajouter, estampillé « roman » par l'auteur, en fait une collection de souvenirs, de son enfance à aujourd'hui, floutés − aucune date précise n'y figure −, thématisés autour de sa grande, peut-être son unique passion : l'écriture.

Jean-Marie Rouart a souvent évoqué son enfance de « petit Chose » solitaire et malheureux, rejeton d'une illustre et riche famille, qui comptait autant d'artistes (dont Berthe Morisot) ou d'écrivains (dont Paul Valéry) que de collectionneurs et de rentiers. Son père, hélas, peintre trop modeste pour avoir du succès, a toujours fait tirer le diable par la queue à sa famille. Mais ici, c'est l'aspect professionnel, sa carrière de journaliste, qui devient l'essentiel. Il est le seul à avoir été remercié deux fois du Figaro ! La première par Jean d'Ormesson, à la fin de l'époque glorieuse d'Hersant et du rond-point des Champs-Élysées, la seconde par Yves de Chaisemartin, sous Dassault, rue du Louvre. Son statut d'académicien français n'a pas protégé le directeur du Figaro Littéraire du licenciement. À cela, les mêmes causes : ses engagements politiques, ou plutôt moraux.

Cet ancien déclassé n'a jamais supporté que les forts écrasent les faibles : petit distributeur de carburant marseillais étranglé par les majors du pétrole, prostituées rackettées par des policiers ripoux, et surtout Omar Raddad, le jardinier marocain accusé par la riche et influente famille de sa patronne de l'avoir assassinée. Sans autres preuves que deux inscriptions suspectes. Tout ça nous vaut nombre d'histoires sulfureuses, et quelques portraits bien sentis, sans indulgence (Jean d'O, Aron, Michel Déon, Georges Kiejman, Mitterrand...). Quoique peu suspect de marxisme, Rouart n'accepte pas la « justice de classe », et il en fait un casus belli personnel, au mépris de ses intérêts : sanctions, attaques dans la presse (et pas seulement de droite), procès... Omar Raddad, dont la vie a été brisée, espère un nouveau procès qui l'innocenterait définitivement et le réhabiliterait à jamais. Son Zola à lui n'a rien lâché. Inconsolé, solitaire, insatisfait, vent debout et la plume à la main.

Jean-Marie Rouart
Mes révoltes
Gallimard
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 20 € ; 272 p.
ISBN: 9782072968853

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