D'après Gombrowicz, « l'artiste est un mouton qui se sépare du troupeau. » Il en va de même de l'écrivain inclassable et polyvalent Marc Dugain. Ce touche-à-tout (littérature, cinéma, théâtre, BD) se dit d'ailleurs « d'aucun culte, d'aucun courant, d'aucune idéologie, d'aucun autre parti que celui du libre arbitre ». Aimant être là où on ne l'attend pas, il participe cette fois au lancement d'une nouvelle collection chez Lattès, « Bestial ». Concoctée par Clara Dupont-Monod et Isabelle Sorente, elle propose un « autoportrait d'un auteur à travers son animal fétiche ».

De façon surprenante, Dugain se fond dans les moutons Soay, une espèce pure, originaire d'Écosse. Soit un duo improbable, baptisé « les sœurs Chocotte », qui ne mâche pas ses mots. « Les hommes disent bêtise, nous on dit humainise. Pour qui ils se prennent ? Ils s'enfoncent dans la tragique simplification d'une époque complexe. » Au-delà de notre univers, l'écrivain dresse un portrait, pas toujours tendre, de leur propriétaire littéraire, à savoir lui-même. Histoire de compléter son puzzle personnel, après son dernier roman puissant sur son père, La volonté. « L'écrivain se voyait comme un livre ouvert », dont il nous confie des pages secrètes ou engagées. Il avoue être « le solitaire qui ne se supporte pas seul. Pour se tolérer, il a besoin d'une compagnie bienveillante et porteuse ». Sa famille partage ce nid, coupé du monde − que l'auteur et ses moutons n'arrêtent néanmoins pas d'observer. « Les humains se prennent pour des modèles de normalité », ancrés dans « la compétition, les troubles du désir et de la satisfaction, le pouvoir. »

Même à l'ère du Covid, « une grande partie d'entre eux suit les autres comme des moutons », tout en niant la mort. La démocratie, l'injustice, la religion, le racisme ou le trumpisme montrent que « le monstre couve dans l'homme ». On retrouve la fibre politique de l'auteur dans ce manifeste écologique, très critique envers l'irresponsabilité occidentale. « La nature finit toujours par corriger les erreurs humaines. » Marc Dugain distille son ironie en se penchant sur le paradoxe de l'absurdie, qui anime notre espèce. L'auteur s'est visiblement amusé à écrire ce petit texte savoureux, qui dévoile aussi ses parts sombres et traumatiques.