Lors de ses vœux à la presse, prononcés le mercredi 3 janvier 2018, Emmanuel Macron a annoncé « un projet de loi visant à lutter contre les fake news sur internet en période électorale ».
Le Président de la République a précisé : « Nous allons faire évoluer notre dispositif juridique pour protéger la vie démocratique de ces fausses nouvelles ».
La difficulté est que le droit français est déjà apte à répondre à ce type de préoccupation et que le Chef de l’Etat vient donc de réinventer la roue.
Le délit de diffusion de fausses nouvelles est en effet une de ces veilles infractions en apparence endormies, que la justice, française peut réveiller soudainement.
C’est en 1849 que ce délit a fait son apparition en droit français. Et l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 (dite sur la liberté de la presse et qui s’applique notamment à l’édition de livres) vise aujourd’hui « la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de fausses nouvelles, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, fait de mauvaise foi, elle aura troublé l’ordre public ou aura été susceptible de le troubler ».
Le délit de fausses nouvelles ne sanctionne pas les opinions mais bel et bien la supposée relation de faits.
La jurisprudence estime que les informations litigieuses peuvent porter sur des événements récents ou très anciens. C’est en cela que l’édition de librairie est une cible potentielle pour de telles poursuites.
Pour être répréhensible, la fausse nouvelle doit être de nature à troubler éventuellement l’ordre public. Autant dire que ce critère est laissé à la pleine appréciation des magistrats, qui sont libres d’échafauder presque toutes les hypothèses pour justifier leur décision. La mauvaise foi de celui qui est à l’origine ou diffuse les fausses nouvelles ou les fake news reste un critère essentiel au déclenchement des poursuites.
Il s’agit, certes, d’un délit très spécifique, car il ne peut être invoqué que par le parquet et en aucun cas par celui qui aurait été le cas échéant victime de la fausse nouvelle.
Emmanuel Macron propose que son nouveau délit puise être invoqué par ceux qui en sont victimes. Mais des poursuites sur un autre fondement juridique peuvent, dès à présent, (et depuis bien longtemps…) parallèlement être menées, et en particulier l’action en diffamation ou l’atteinte à la vie privée.
Soulignons par ailleurs que la justice dispose d’autres textes spécifiques pour réprimer la diffusion de certaines fausses informations. Il en est ainsi du régime de la publicité trompeuse (autrement dit mensongère) ou de l’article 410-1 du Code pénal, qui sanctionne la publication de « faits faux de nature à porter atteinte au crédit de la Nation ».
Prenons un exemple de décision relativement récente pour appuyer notre démonstration. Le 13 décembre 2001, le Tribunal de grande instance de Nanterre a ainsi statué sur une affaire de fausses nouvelles colportée par un éditeur de presse.
Les juges ont en effet relevé que « le recours à des figurants rémunérés, le jet d’un faux réfrigérateur à partir d’un appartement prêté complaisamment par un résident, la location de costumes caractérise la volonté de « fabriquer » un événement en se livrant à des artifices de mise en scène. Il ne s’agit en aucune manière d’une « reconstitution de faits réels » (…) ».
Le tribunal a également souligné que « le terme de « reconstitution » qui ne figure d’ailleurs nulle part dans le reportage d’Entrevue suppose précisément que l’événement s’est déjà produit et que le journaliste entend illustrer ces faits divers en décomposant chaque moment au moyen de photos et d’une légende explicative. En l’espèce (le prévenu) est dans l’incapacité de démontrer qu’un jet de réfrigérateur sur les forces de l’ordre a eu lieu à Colombes dans les jours, les semaines ou les mois qui ont précédé ».
Il en retient que « l’article (…) est bien une « fausse nouvelle » établie sur la base de pièces entièrement fabriquées donnant l’illusion d’un véritable reportage rapportant une scène qui en définitive n’a jamais existé pour faire croire aux lecteurs que « la chasse aux flics » est lancée dans les banlieues parisiennes par des jeunes emplis de haine ».
Les magistrats ont ainsi conclu ce retour en force du délit de fausses nouvelles : « la liberté de la presse qui est un des fondements les plus essentiels de la démocratie ne saurait s’accommoder des méthodes les plus déloyales pour tromper le lecteur, abuser de sa crédulité et le désinformer ».
Liberté d'expression menacée
Ce très vieux délit, suranné, a déjà connu l’été dernier, d’une nouvelle actualité à la faveur d’une proposition signée par la très inspirée sénatrice Nathalie Goulet (UDI-UC), qui a affirmé : « Chacun peut aujourd’hui publier ses écrits depuis un ordinateur ou un téléphone portable. C’est en soi une très bonne chose, mais il faut prendre acte de cette transformation de la presse qui est aussi et malheureusement à l’origine d’abus de plus en plus nombreux. (…) c’est le fait de publier, diffuser, reproduire qui est incriminé », alors que, selon elle, « la seule élaboration de fausses nouvelles ne suffit pas ».
La lectrice et le lecteur de la présente chronique auront compris que ce discours est, en tant que tel, une véritable fake news ou, plus simplement, de l’ignorance d’une parlementaire.
Ajoutons enfin que la liberté d’expression souffrirait une fois de plus de l’adoption d’un énième texte de censure, qu’il s’agisse celui d’Emmanuel Macron ou de Nathalie Goulet.
Fier du principe de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, toujours en vigueur en droit français, le législateur a mis sur pieds, en un peu plus de deux siècles, plusieurs centaines de lois et règlements limitant la liberté d’expression, les restrictions apportées à cette dernière concernant des domaines variés, éloignés, parfois désuets. Ces limites varient par ailleurs, au gré des changements de mœurs, de gouvernements, ou d’évènements ponctuels, comme ces temps derniers les diatribes mensongères de Donald Trump.
Quelques centaines de dispositions légales éparses sont à présent applicables, dont il serait donc extrêmement fastidieux de dresser une liste complète, lorsqu’il s’agit de restreindre la diffusion d’un message, que celui-ci soit oral, écrit, peint, filmé ou encore chanté.
Au diable la pédagogie et autres méthodes vieillottes : mieux vaut interdire que prévenir.