A l’approche de l’an 2000, les vieilles peurs millénaristes ont resurgi. D’aucuns prédisaient l’apocalypse. N’en déplaise au styliste "extralucide" Paco Rabanne, nous avons survécu. Et Faïza Guène, aussi, qui signe en cette rentrée d’hiver Millénium blues, un roman sur la traversée du gué, d’un millénaire l’autre. De mère française et de père kabyle, Zouzou, la narratrice de la nouvelle fiction de Faïza Guène, appartient comme l’auteure à la génération née entre 1980 et 2000, celle que l’anglais affuble de l’épithète millennial.
Le précédent millénaire avait pourtant si bien terminé : 1998, les Bleus champions du monde… Et puis patatras : le 11 septembre 2001, al-Qaida attaque le World Trade Center. En avril 2002, l’extrême droite est au second tour. La litanie du malheur n’allait pas s’arrêter là, il y aurait d’autres attentats, d’autres horreurs, d’autres calamités. Pour Zouzou et sa meilleure copine Carmen, la date charnière fut un 11 août 2003. La canicule : Carmen au volant est excédée, Zouzou a beau bidouiller la "clim", rien n’y fait. Chaleur, inattention, énervement, le cocktail est létal. Carmen renverse un scooter, tue une jeune mère de famille.
Ainsi commence Millénium blues : l’accident tragique et un retour en arrière sur l’existence de la narratrice. Les accidents de la vie n’entraînent pas forcément la mort, sinon celles des illusions. Zouzou est ballottée depuis l’enfance entre ses parents séparés, sa mère "femme de crises" - crise d’urticaire, crise de "boustérie" (boulimie et hystérie combinées) - et son père taiseux, ancien du BTP reconverti en chômeur de longue durée. Zouzou, à côté de la sémillante Carmen, a toujours joué les seconds rôles jusqu’au jour où… La roue tourne, comme dit son paternel. Sauf que lorsque la roue a tourné, elle tourne encore. A travers les tribulations existentielles de son héroïne, on goûte la plume vivace de Faïza Guène qui depuis Kiffe kiffe demain (Hachette Littératures, 2004) n’a rien perdu de sa fraîcheur. S. J. R.