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Filmer, est-ce prouver ?

Filmer au travail - Photo Olivier Dion

Filmer, est-ce prouver ?

Depuis fin 2023, la Cour de cassation estime que dans un procès civil le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments qui portent atteinte à d'autres droits, à condition que cette production soit indispensable et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. Explications.

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Par Alexandre Duval-Stalla
Créé le 03.07.2024 à 14h35

Depuis un revirement de la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, dans un arrêt du 22 décembre 2023 (Cass. ass. plén., 22 déc. 2023, n° 20-20.648), l'illégalité dans l'obtention ou la production d'une preuve ne conduit plus nécessairement à son exclusion dans un procès civil. En effet, la Cour de cassation a estimé que le droit à la preuve pouvait justifier la production d'éléments qui portent atteinte à d'autres droits, à condition que cette production soit indispensable et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

L'employeur avait croisé les séquences vidéo avec les journaux de vente pour comprendre les écarts injustifiés dans les inventaires

Dans un arrêt du 14 février 2024 (Cass. soc., 14 févr. 2024, n° 22-23.073), la Cour de cassation s’est prononcée sur le cas spécifique de la surveillance vidéo en entreprise. En l’espèce, un employeur avait constaté des écarts injustifiés dans les inventaires. Il avait suivi les produits lors de leur passage en caisse et croisé les séquences vidéo avec les relevés des journaux informatiques de vente. Ce contrôle a révélé 19 anomalies graves en moins de 2 semaines.

Les juges du fond avaient retenu comme preuve les vidéos, considérant que le visionnage des enregistrements avait été limité dans le temps et que la production des données personnelles issues du système de vidéosurveillance était indispensable à l'exercice du droit à la preuve de l’employeur et proportionnée au but poursuivi.

L'employeur aurait-il pu atteindre le même résultat par des moyens plus respectueux de la vie privée du salarié ?

La Cour de cassation a profité de cette occasion pour préciser sa jurisprudence. Elle a exposé qu’en présence d'une preuve illicite, le juge doit d'abord examiner la légitimité du contrôle effectué par l'employeur et vérifier s'il existait des raisons concrètes justifiant la surveillance. Il doit ensuite déterminer si l'employeur aurait pu atteindre le même résultat par des moyens plus respectueux de la vie privée du salarié. Enfin, il doit évaluer si l'atteinte à la vie privée est proportionnée au but poursuivi.

Fort de ces différents critères, la Cour de cassation a validé la position des juges du fond en estimant qu’ils avaient « mis en balance de manière circonstanciée le droit de la salariée au respect de sa vie privée et le droit de son employeur au bon fonctionnement de l'entreprise, en tenant compte du but légitime qui était poursuivi par l'entreprise, à savoir le droit de veiller à la protection de ses biens ».

Ainsi, les salariés d’une entreprise peuvent être filmés à leur insu dans le seul but de prouver la commission d’un délit et dans la mesure où cette vidéosurveillance est limitée dans le temps et le seul moyen pour confondre le salarié indélicat.

Alexandre Duval-Stalla

Olivier Dion - Alexandre Duval-Stalla

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