Gustave Flaubert (1821-1880) a fait son entrée en 1936 dans la « Bibliothèque de la Pléiade », dans une édition procurée par le grand critique Albert Thibaudet, donc culte. « Mais, précise Hugues Pradier, responsable éditorial de la collection, il avait procédé comme on faisait à l’époque : seules les œuvres publiées du vivant de Flaubert figuraient dans ses Œuvres complètes, à l’exception de Bouvard et Pécuchet, laissé inachevé par l’écrivain à sa mort et publié posthume, mais difficilement évitable. » Il était donc temps de refaire une intégrale, chronologique et mise en perspective.
Après un premier tome avec ses Œuvres de jeunesse (publiées posthumes), paru en 2001, voici les deux suivants. Le tome II, 1845-1851, qui comprend Par les champs et par les grèves, premier livre «professionnel» de l’écrivain ; la première version de 1849 de La tentation de saint Antoine, entreprise délirante qui occupera Flaubert près de trente ans, et le formidable Voyage en Orient. Le tome III, 1851-1862, offre, lui, la deuxième version de la Tentation (1856), ainsi que Madame Bovary et Salammbô, deux des sommets du génie flaubertien, mais aussi deux livres mal compris et objets de procès.
Pour chacun de ces ouvrages, cette édition, réalisée sous la direction de Claudine Gothot-Mersch, propose un dossier passionnant, avec nombre de documents rares. Pour Salammbô, par exemple, la réponse respectueuse mais ferme de Flaubert à la critique de son roman, plutôt mi-figue, mi-raisin, par son maître et ami Sainte-Beuve. Et une autre, bien plus drôle : la lettre ouverte que l’écrivain envoya à M. Froehner, lequel avait démoli son livre dans La Revue contemporaine. Un petit bijou d’ironie, qui s’achève ainsi : « Monsieur, [bien] que vous pensiez sérieusement “avoir déchiqueté [mon] livre pièce à pièce”, n’ayez aucune peur, tranquillisez-vous ! car vous n’avez pas été cruel, mais… léger. »
Le forçat de Croisset, qui suait sang et eau sur ses textes, remettait cent fois sur le métier chaque page, avait du tempérament et n’aimait guère qu’on le méprise. Il ripostait avec courage : ainsi, en 1873, publia-t-il une édition soit-disant « définitive » de Madame Bovary, augmentée du dossier de son procès ! Aujourd’hui, on peut enfin suivre Flaubert à l’œuvre, jusque dans son « gueuloir » et ses affres, contées dans sa monumentale Correspondance (complète en 5 volumes, parus de 1973 à 2007).
Quant aux Œuvres complètes, restent à venir le tome IV, 1862-1873, centré sur L’éducation sentimentale, et le tome V, 1873-1880, avec la dernière Tentation de saint Antoine et Bouvard et Pécuchet. « L’entreprise devrait être achevée d’ici deux à trois ans », précise Hugues Pradier. En dix volumes, la « Pléiade » en aura alors terminé avec Flaubert, ce « géant qui abattait une forêt pour faire une boîte », comme disait joliment Alexandre Dumas.
Jean-Claude Perrier
