26 mai > Premier roman Sri Lanka

Certaines tragédies nous font grandir d’un coup. Elles nous transforment à jamais nous dépouillent d’une certaine naïveté, nôtre âme peut-elle néanmoins être préservée ? Une interrogation sublimée par le premier roman d’Anuk Arudpragasam, né à Colombo. A 25 ans, ce diplômé de Stanford poursuit un doctorat en philosophie à l’université Columbia à New York. Mais il incarne surtout l’une des nouvelles voix du Sri Lanka. Déchiré par la guerre, son pays a eu des airs de plaie béante.

Alors que le conflit fait rage, dans ces pages on ne compte plus, les réfugiés éplorés et les blessés, atteints par les bombardements constants ou les mines antipersonnel. Un hôpital de fortune tente de leur porter secours. Dinesh fait partie des bénévoles qui veulent aider le seul médecin présent. Une scène d’amputation donne le ton de l’enfer qu’il subit quotidiennement. Ce jeune homme, abandonné et solitaire, erre entre les cadavres. Un vieillard est frappé par son dévouement. Il lui fait une proposition déroutante : des épousailles avec sa fille unique, Ganga, qui bénéficierait ainsi d’un gage protecteur.

Dinesh a un grand cœur, mais il se trouve dans "l’impossibilité de recourir au passé ni à l’avenir lointains". En raison d’une succession de malheurs, il était jusqu’alors uniquement concentré sur la survie. A l’image de ce petit corbeau agonisant, entravé dans son désir de s’envoler. Il ressemble à ces êtres, piégés par la férocité d’une guerre, frappant aveuglément à tout instant. Doit-il accepter la fatalité ou lui faire un pied de nez en acceptant une proposition inespérée ?

Ici, la mort est une épée de Damoclès, insatiable, alors pourquoi ne pas avoir une femme à ses côtés ? Point de romantisme dans cette décision, juste l’intuition qu’il doit renouer avec son ressenti. Il ne connaît rien à l’amour, mais Ganga et lui sont "pareils à deux êtres humains qui, en se rencontrant dans un territoire morne et vide, tentent par des mots et des gestes de construire une passerelle entre leurs mondes". Même leur silence est une révolution intérieure, un pas de plus vers une renaissance possible.

L’essence de la vie resurgit, petit à petit, dans la simplicité d’un échange, d’un bain ou d’une larme qui coule. Dinesh "était enfin retourné à lui-même, constitué de rien d’autre que de lui-même, juste une substance vivante qui respirait, poreuse et nue". Anuk Arudpragasam déploie un art de la description qui frôle la perfection. La beauté des mots choisis tranche avec l’horreur décrite. Comme si ces héros incarnaient des touches de couleur au milieu d’un tableau bien sombre.

Kerenn Elkaïm

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