Cette tranche horaire était préalablement occupée par une émission d’échanges entre une journaliste et un(e) écrivain(e) de fiction ou non. Ce n’est donc pas le profil des invité(e)s qui a changé mais le format de l’émission à laquelle ils prennent part. Désormais, du temps et de la parole sont donnés à celles et ceux qui sont définis par leur seule pratique de lecture. En effet, ils interviennent sur leur expérience de lecture ou le thème de l’émission. Et le vendredi, c’est Pierre Krause, responsable éditorial de Babelio qui porte la parole des lecteurs du site spécialisé sur la lecture. Ce souci transparaît également dans le choix des thèmes abordés où il est question de littérature de jeunesse, de BD, de polar ou de romans d’amour.
Ce virage n’est pas anodin. Il confirme le début d’une prise en compte du point de vue des lecteurs eux-mêmes. La parole n’est plus réservée aux lecteurs autorisés c’est-à-dire à ceux qui parlent depuis une institution légitimante. Le champ littéraire rassemblant les institutions et les agents ayant partie liée à la production littéraire n’est plus le seul à pouvoir intervenir. Dans Radio France, cette ouverture n’est pas nouvelle car France-Inter porte le prix du Livre Inter depuis 1975 qui est décerné par un panel de lecteurs ne représentant qu’eux-mêmes. La nouveauté réside donc dans ce premier signe d’ouverture au sein de la chaîne qui incarne historiquement le plus la posture d’une légitimité par la proximité avec la création culturelle. Elle se nourrit toujours de producteurs d’émissions qui sont eux-mêmes auteurs (F. Martel, A. Finkielkraut, etc.). Cette ouverture (brèche?) est soutenue par la Centre National du Livre (CNL) qui donne ainsi à voir une attention au lectorat et pas seulement aux acteurs de la chaîne du livre qui sont les premiers bénéficiaires de cette institution (auteurs et éditeurs bénéficient de 47 % des aides en 2022). France Culture et le CNL se donnent la main dans un début de sécularisation de la culture c’est-à-dire dans le passage du pouvoir culturel dans les seules mains des représentants des institutions qui lui sont dédiées à un pouvoir plus horizontal et partagé avec ceux qui sont destinataires des œuvres.
Mais il ne s’agit bien que d’un commencement. Même si le titre de l’émission suggère des échanges croisés entre lecteurs, en réalité, la place accordée à la voix des lecteurs reste très faible. Cela représente 5 à 6 minutes sur une durée totale de 38 à 40 minutes. Par ailleurs, l’émission se termine par l’intervention de Charles Dantzig ou Mathias Enard qui tiennent une chronique littéraire. Forts de leur position légitime en tant qu’écrivains reconnus et producteurs d’émissions sur France Culture, ils rappellent (ou rassurent à propos de) l’existence de voix sur la littérature qui ne se réduiraient pas à celle des lecteurs. Enfin, le Book Club consacre nombre de ses émissions à des auteurs reconnus ou en voie de l’être (Malraux, Aragon, Eluard, etc.).
Le temps n’est donc pas venu d’un abandon de France Culture à la vox populi. Le foisonnement des expériences de lecture, la diversité des pratiques des lecteurs, leur contestation des codes dominants, la force de leur partage de textes plébiscités ne trouvent pas encore un large espace pour leur résonance sur la chaîne. Un tout premier pas a été franchi sur une route qui reste longue...