L'attractivité de la marque. Voilà l'un des facteurs qui ont poussé Kamel Ouazani à faire passer sous la bannière de la Fnac son forum Mirose. Le propriétaire de la librairie généraliste de Roanne, qu'il a rachetée en 2014 à l'occasion de la faillite du réseau Chapitre et alors que « personne n'en voulait », signera la transaction début avril. Dès lors, le forum Mirose fermera ses portes pour rouvrir, à la mi-juillet, sous la forme d'une franchise Fnac avec à sa tête Ludovic Mosnier, déjà propriétaire des magasins de Vichy et de Bourg-en-Bresse.
Si, humainement, la vente du Forum Mirose « lui a beaucoup coûté », Kamel Ouazani n'aura « pas beaucoup hésité d'un point de vue comptable. Les librairies comme la nôtre, des magasins installés dans des villes de taille moyenne avec des surfaces dépassant les 500 m2, sont confrontées à une équation économique et stratégique difficile à résoudre. Ce sont des modèles fragiles, surtout s'ils ne bénéficient pas d'une identité très forte, d'une implantation séculaire ou d'une proximité avec leurs clients. Ils subissent une baisse tendancielle de leur chiffre d'affaires, lente mais régulière alors que leurs coûts fixes ne cessent d'augmenter », analyse le chef d'entreprise.
La part du rêve
A Roanne, ce sont les CD et les DVD qui plombaient l'activité. «Le rayon ne cessait de perdre du chiffre, mais le supprimer totalement revenait à mettre en péril l'ensemble du magasin», détaille le libraire. Reste alors à le remplacer. Si Kamel Ouazani pense sérieusement aux jeux et jouets de qualité avec, en ligne de mire, une offre proche de celle de Nature & découvertes, jusqu'à faire de la librairie «un lieu au cœur de cette nouvelle consommation qui se revendique de l'écologie et du développement durable», il reconnaît avoir baissé les bras devant la lourdeur de la tâche et de l'investissement. « Le livre, même accompagné de la papeterie et des loisirs créatifs, ne suffit plus pour maintenir l'activité et se différencier justement des enseignes. Mais nous avons un réel problème de sourcing pour mettre en œuvre cette diversification », estime Kamel Ouazani.
Soucieux d'assurer la pérennité de son entreprise et de ses treize emplois, il se tourne donc, en octobre, vers la Fnac et son système de franchise. « Il vaut mieux confier le destin du forum Mirose à des entrepreneurs indépendants utilisant la réputation de l'enseigne Fnac, qui vont apporter à Roanne cette fameuse attractivité que nous avons tenté d'installer avec nos moyens restreints pendant cinq ans. La Fnac contribue concrètement et localement au projet national de revitaliser les centres-villes », explique celui qui se concentre désormais sur la gestion de ses magasins Biocoop. « La Fnac fait encore rêver, abonde Marie-Lou Ribeiro, propriétaire du magasin de Saint-Brieuc, ex-Forum des Champs. La marque amène un capital sympathie et une certaine confiance chez les gens, qui se déplacent pour elle. »
Renforcer fnac.com
Parallèlement, avec ses 35 000 habitants et une zone de chalandise estimée à 100 000 personnes, Roanne constituait une ville cible pour une franchise Fnac. Auparavant concentrée dans les centres des grosses villes, avec une tentative peu convaincante de s'implanter dans les zones commerciales avec son concept « périphérie », la chaîne de grandes surfaces culturelles appuie désormais son développement sur un maillage serré du territoire. Elle place pour cela la franchise au cœur de sa stratégie. Peu coûteuse en investissement, elle lui permet de croître très rapidement. En cinq ans, la chaîne a inauguré 79 magasins en franchise, parcourant bien du chemin depuis l'ouverture de La Roche-sur-Yon, fin 2012. « Au départ, nous travaillions de manière un peu artisanale, c'était presque une aventure. Mais en très peu de temps, le Fnac a su roder la machine, se professionnaliser, affiner ses outils et renforcer l'accompagnement qu'elle prodigue à ses franchisés », se félicite Olivier Leroux, directeur du magasin de Beauvais ouvert en 2013.
Aujourd'hui, la chaîne propose trois formats de franchises : le « Retail », réservé aux lieux de passage comme les aéroports et les gares ; le concept Fnac Connect, amené à se développer fortement et qui compte à ce jour six points de vente centrés autour de la téléphonie et des produits connectés ; et la formule classique dont le nombre de magasins s'élève à 46. Dix supplémentaires devraient voir le jour cette année, un rythme de croisière que la Fnac entretient depuis trois ans et qu'elle aimerait conserver.
Pas de profil type
Appelés Fnac « de proximité », ces commerces visent en premier lieu les villes moyennes, ainsi que les zones semi-rurales grâce notamment à un partenariat avec Intermarché (voir page 26). Si l'objectif de ces magasins reste d'abord de gagner des parts de marché physiques sur les produits éditoriaux comme sur les produits techniques, leur ouverture permet aussi et surtout de dynamiser l'activité de Fnac.com. « Lorsqu'une Fnac se crée dans une région, on y constate aussi un accroissement du chiffre d'affaires pour le site, qui peut aller jusqu'à doubler », observe Marc Vanderhaegen, directeur du développement des franchises. Un facteur non négligeable pour le groupe dont la croissance globale est portée par le e-commerce et le m-commerce sur smartphone, et qui a pu mesurer que 48 % des commandes passées en ligne sont retirées en magasin.
Installées aussi bien à Oudan (Nièvre) qu'à Roanne, ces Fnac de proximité ne sont pas monoformat. Elles présentent même des visages relativement variés, allant de formats de poche, où tout est ramassé, à l'ancienne librairie indépendante où le livre occupe encore une place prépondérante. A ce jour, neuf librairies traditionnelles sont ainsi passées sous étendard de la Fnac, parmi lesquelles les ex-Chapitre de Boulogne-sur-Mer, de Saint-Brieuc, de Laval et de Roanne, l'ancien Mediastore de la Roche-sur-Yon, l'ex-librairie Amyot à Melun, Declochez à Pontault-Combault et Pentecost à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie.
Si la surface de vente moyenne des Fnac franchisées s'élève à 600 m2, les plus petites occupent 300 m2, comme à Melun ou Compiègne - une taille que la Fnac ne souhaite toutefois plus exploiter. La plus grande se déploie sur 2 000 m2, à La Roche-sur-Yon. Les franchisés n'affichent pas non plus un profil type. « On trouve aussi bien d'anciens libraires ou commerçants indépendants que des investisseurs ou des propriétaires de supermarchés », affirme Marc Vanderhaegen.
Des invariants
Malgré leurs particularités, ces magasins franchisés présentent toutefois des invariants : un contrat type, que l'enseigne ne tient pas à dévoiler ; une communication verrouillée (toute demande d'interviews doit passer par le siège) ; une répartition égale en termes de surface entre produits techniques et produits éditoriaux ; et la présence du mix-produit propre à l'enseigne, composé obligatoirement des rayons informatique, son, photo, téléphonie, gaming, CD/DVD et livre. « La gamme des services proposés au client reste également identique », ajoute Marc Vander-haegen. Seuls la papeterie, les jeux et jouets et la télévision font office de variable d'ajustement, notamment en fonction de la concurrence.
En livre, largeur et profondeur de l'offre s'adaptent naturellement à la taille du magasin et à son historique. Les libraires peuvent y apporter leur patte, notamment pour tout ce qui concerne le régionalisme ou les particularismes locaux. A Laval, par exemple, le poids du rayon religieux, historiquement présent dans la librairie, a été préservé. « Nous disposons de la fameuse touche F6 qui nous permet d'étoffer les quantités et de faire venir des titres spécifiques », confirme Marie-Lou Ribeiro, qui référence beaucoup d'auteurs et d'éditeurs locaux. « Dans l'ensemble, nos chefs de produits sont à l'écoute », ajoute la directrice, qui apprécie également la rapidité des réassorts et des livraisons sur les livres les plus vendus. « Ce système de flux tendu, qui nous permet de moins stocker en quantité, apporte des gains de trésorerie non négligeables », relève l'ex-papetière.
Obligation de résultats
Globalement, l'accompagnement délivré par la Fnac est très prisé. Présent sans être trop strict, il apporte une aide précieuse au franchisé, qui est pris en charge de l'étude de marché au suivi de ses différents rayons et jusque dans sa communication externe. « Ils n'imposent pas leurs choix et c'est très agréable, reconnaît Olivier Leroux. Ils m'ont laissé faire mes expériences, souvent infructueuses, en m'indiquant qu'ils auraient agi différemment. Finalement, aujourd'hui, je suis en tout point leurs préconisations. Ils ont développé une telle expertise et ne peuvent pas se planter. Le groupe est coté en Bourse et a une obligation de résultats. Par conséquent, moi aussi. »
Si, il y a encore dix ans, cette expansion aurait alarmé les libraires indépendants, elle est aujourd'hui considérée d'un œil neutre, voire favorable. « C'est plutôt intéressant qu'ils se soient positionnés dans le centre de Bergerac. Leur installation en périphérie aurait été une vrai catastrophe », souligne Baptiste Gros. Le propriétaire de La Colline aux livres note même, grâce à la Fnac, «une politisation des clients. Beaucoup sont allés voir et sont revenus donner leur avis. Certains se mobilisent même davantage pour nous», explique le librairie qui a, depuis, placardé sur sa vitrine qu'il était une « librairie indépendante ». L'impact économique, lui, reste relativement marginal. Pierre Lenganey, du Passage à Alençon, comme Géraldine Delaunay, de Dialogues à Morlaix, ont bien senti un effet à l'ouverture des franchises Fnac, mais très vite, leur chiffre d'affaires s'est stabilisé.
Bien que concurrente, la Fnac se révèle désormais plutôt complémentaire du réseau des librairies indépendantes, avec des clientèles qui se chevauchent plus qu'elle ne s'affrontent. Marie-Lou Ribeiro a noté une augmentation de la fréquentation des jeunes, et une croissance de ses rayons BD et mangas, depuis qu'elle bat pavillon Fnac. Le rayon bien-être affiche également de beaux scores. « Certes, nous avons sans doute perdu des clients, mais nos fidèles sont toujours là. Ils sont très attachés à nos libraires plus qu'à une enseigne», précise la directrice de la Fnac de Saint-Brieuc. Et ceux qui sont partis ont peut-être choisi, comme à Laval, de fréquenter les librairies indépendantes.
3 questions à Marc Vanderhaegen
Responsable du développement des franchises de la Fnac, Marc Vanderhaegen précise les conditions de leur développement.
Pur produit de la Fnac, où il est entré il y a trente ans, Marc Vanderhaegen a dirigé plusieurs magasins, dont ceux de Nantes et de La Défense, et a ouvert en 1997 les deux premières boutiques Eveil & jeux, marque spécialisée jeunesse de la Fnac. Aux manettes de la première franchise de l'enseigne, au Maroc en 2012, il rejoint un an plus tard le département des franchises, dont il assure aujourd'hui la direction du développement.
Livres Hebdo : Le coup d'envoi des franchises a été donné quasiment au même moment pour la Fnac et pour Darty. Or aujourd'hui, la première en compte 79 et la seconde plus de 130. Pourquoi ce différentiel ?
Marc Vanderhaegen : en 2012, au démarrage, le système de franchise était totalement nouveau pour la Fnac. Nous avons donc eu besoin d'apprendre et d'expérimenter un modèle. Aujourd'hui, nous arrivons à une certaine maturité, avec un modèle rodé, une équipe renforcée et un rythme de croisière établi autour d'une dizaine d'ouvertures de franchises par an. Nous sommes en phase avec le développement annoncé.
Etes-vous régulièrement sollicités ?
Nous sommes plus souvent sollicité que nous ne sommes à l'initiative de projets. Cette attractivité s'explique sans doute par le capital sympathie toujours très fort pour la marque. Dans une ville, un magasin Fnac reste un lieu de destination, synonyme d'une offre et d'une vie culturelle à proximité. Mais pour nous, trois critères sont indispensables pour valider un projet de franchise. Il faut un emplacement, un potentiel, soit une zone de chalandise de 80 000 habitants minimum, et surtout un candidat qui porte l'idée et qui soit capable d'investir. Réunir les trois n'est pas forcément évident.
Depuis quelques années, la Fnac n'ouvre plus de magasins en propre. A t-elle abandonné ce mode de développement ?
Pas du tout. Cette année, trois magasins appartenant au groupe verront le jour à Besançon, La Rochelle et Saint-Genis-Laval, dans le Rhône. Les arbitrages entre franchise et magasin en propre se font en fonction des opportunités. Mais quelle que soit leur forme, il reste important d'ouvrir des points de vente. C'est là que se joue, en grande partie, la relation client. Nos études nous montrent qu'ils sont attachés à un lieu physique. D'ailleurs, 48 % des commandes passées en ligne sont retirées en magasin. Un chiffre qui nous a poussés à améliorer les services que nous leur proposons et notamment le click & collect. A partir de la mi-avril, une heure après la réservation en ligne, il sera possible de récupérer les produits éditoriaux disponibles dans le magasin de son choix, partout en France, franchises incluses.