Empereur résistant. Tel que rouvert par François Joyaux, professeur émérite à l'Inalco (anciennement Langues O'), spécialiste de l'Asie du Sud-Est et notamment du Vietnam, le dossier, raconté avec brio et gourmandise, est passionnant, complexe et rocambolesque. On s'accorde généralement sur le fait que le dernier empereur du Vietnam, alors sous protectorat français, fut Bao Daï, qui régna à partir de 1926. Après son abdication forcée en 1945, il s'allia aux communistes d'Hô Chi Minh avant de les combattre, jusqu'à Dien Bien Phu. On connaît la suite. Mais pour tous les légitimistes de la monarchie annamite, Bao Daï était un imposteur, un bâtard. Le vrai dernier empereur, c'est le prince Vinh San (1899-1945), devenu Duy Tan après avoir succédé à son père Thanh Thai, destitué en 1907 pour « folie sadique ». Duy Tan régna donc sur l'Annam français de 1907 à 1916, soit de 8 à 17 ans. Moment, en pleine guerre mondiale, où il ne trouve rien de mieux à faire que de vouloir réviser le traité avec la France, et de fomenter un complot avec l'aide des Allemands. Cela s'appelle de la haute trahison, même si l'affaire fut un pétard mouillé. En tout cas, elle lui coûtera son trône, et lui vaudra un long exil à La Réunion, jusqu'en 1945.
Là, il mènera d'abord une vie discrète, tranquille, parmi ses trois femmes successives et ses dix enfants métis. Cultivé, lecteur boulimique, cavalier, escrimeur, musicien, il affichait des idées de gauche, franc-maçon et ami de Raymond Vergès, le père du futur avocat Jacques. Parmi ses autres passions, la photographie, et la T.S.F. Et c'est justement à cause de ses talents de radioamateur que son destin bascule à nouveau. Il entend et répercute l'appel du général de Gaulle, devient vite un gaulliste fervent, persuadé qu'on peut être à la fois patriote français et vietnamien. Il lutte à son niveau contre l'administration de l'île, loyale à Pétain, demande à s'engager plusieurs fois dans les forces libres. En vain, jusqu'en mai 1945. De Gaulle le nomme officier, le fait enfin venir en métropole, et nourrit pour lui un « dessein secret ». Seuls ses très proches (Alain de Boissieu, Leclerc...) sont dans la confidence : pourquoi ne pas rétablir sur son trône Duy Tan, fidèle à la France, ce qui aurait peut-être permis de juguler le communisme et d'éviter la guerre ? Le destin ne l'a pas voulu : Duy Tan meurt dans un crash d'avion, en route vers Madagascar, au-dessus de l'Oubangui-Chari (aujourd'hui République centrafricaine), le 26 décembre 1945. Accident, attentat ? On ne le saura jamais, mais de Gaulle le déplorera toujours. Le dernier empereur, lui, attendra 1987 pour que ses restes soient transférés et inhumés solennellement à Hué, l'ancienne capitale de ses ancêtres les Nguyen.
Perrin
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 24 € ; 352 p.
ISBN: 9782262101077