Une malle aux trésors. Par où commencer pour dire pourquoi Frédéric Berthet (1954-2003) est le plus lumineux, le plus indispensable ratage de la littérature française contemporaine ? L'œuvre si mince, la vie trop brève, la mort un jour de neige et de Noël à Paris ? Si cet échec, né de l'alcool et de la difficulté de vivre, apparaît tellement fracassant, c'est surtout en raison des dons qui lui furent initialement octroyés et parce que ses quelques livres demeurent tout de même, jusque dans leur inachèvement, alors que bien des cathédrales de papier que l'on croyait inexpugnables se sont depuis lors effondrées. Peut-être conviendrait-il de dire d'abord que cet homme fut tout entier dédié à la littérature − et aux jeunes filles, au tennis, aux soirs d'été, aux amis, toutes et tous transformés sous sa plume en personnages d'un livre impossible qu'il s'évertua à rattraper. Il aimait Kafka, Fitzgerald, Philip Roth. Il fut le compagnon de route de Barthes et de Sollers comme le complice d'Echenoz ou de Déon. Lorsque, vaincu par la fatigue et l'aile noire de la tristesse, il s'en alla, il laissa des livres comme autant de petits cailloux sur ses chemins buissonniers : Daimler s'en va, Felicidad, Paris-Berry, Simple journée d'été, tous rétifs à se voir assignés à quelque genre que ce soit. Ils furent d'abord oubliés et finalement restent inoubliables. C'est ainsi que Frédéric Berthet devint peu à peu le prince noir des happy few...
Voici donc qu'aujourd'hui, pour prolonger un corpus d'œuvres qui depuis sa mort s'est agrandi d'un vaste Journal de Trêve et d'un volume de correspondances, les éditions de La Table Ronde proposent sous le titre L'impassible (« L'impassible, écrit-il, est à la fois un ascète et un aventurier. L'impassible blêmit imperceptiblement, courbe à peine les épaules, darde ses prunelles sombres et se met à danser le fox-trot, tout seul »), un recueil d'articles jusqu'alors jamais réunis en volume et parus dans la presse entre 1988 et 1999, pour l'essentiel dans les pages du défunt Quotidien de Paris. S'il n'est peut-être pas opportun de commencer par là la lecture de Berthet, tous ceux qui l'ont déjà lu y retrouveront la grâce sarcastique, la fantaisie allègre et noire à la fois de son écriture. La cinquantaine d'articles réunis ici dessine comme le portrait chinois d'un lecteur qui ne saurait oublier qu'il est aussi un écrivain. « L'après-midi, l'écrivain prête une attention extrême aux détails. En hiver, quand le soir tombe vite, il regarde une veste qu'il portait cet été, restée depuis sur le dossier d'une chaise. Il pose une main sur son front et l'autre sur son cœur, en écoutant passer un train. Il salue la première neige de l'année et attend le moment le moment où il pourrait répondre, si on le lui demandait, qu'il n'a pas de nom. » On voudrait citer presque chaque page de cette malle aux trésors redécouverte. Car c'est ainsi, entre considérations inspirées sur Bukowski, Carver, Salinger, Thomas Bernhard ou Marie NDiaye, que toujours Frédéric Berthet est grand. Ainsi que ce gentil fantôme revient chatouiller nos mémoires.
L'impassible
La Table ronde
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 22 € ; 112 p.
ISBN: 9791037115447