Amis que vent emporte... Un souvenir pour commencer. Celui des larmes, en direct sur un plateau de télévision, de Frédéric Mitterrand lorsqu'il y reçut Tchang Tchong-Jen, inspirateur du personnage de Tchang dans Le lotus bleu et Tintin au Tibet, quand le sculpteur chinois lui raconta comment, après plus d'un demi-siècle de séparation, il avait retrouvé Hergé à la gare de Bruxelles et que celui-ci lui avait dit seulement : « Viens, on rentre à la maison »... Écrivain, cinéaste, créateur de quelques-unes des plus belles émissions de la télévision française, ministre, Mitterrand, décédé le 21 mars 2024, était avant tout un sentimental perpétuellement en deuil d'empires ou d'amours perdus − c'était pour lui toujours la même perte. Il en donna ce jour-là la plus poignante des illustrations. En voici une autre, la dernière hélas, avec cet Amis pour la vie, livre posthume où tous ceux qui l'aimaient et l'admiraient retrouveront avec émotion la voix, la mélancolie profonde, de cet homme qui fut d'abord un éternel enfant blessé et qui prenait sans doute à ces blessures une sorte de curieux plaisir masochiste. À l'heure du dernier au revoir, Frédéric Mitterrand fait ressurgir dans trois textes distincts le souvenir jusqu'alors tu de quatre garçons qui, tous à leur façon, furent les compagnons durables de ses pensées et de ses regrets. Il y a tout d'abord, et ce sont les pages les plus bouleversantes du volume et peut-être de toute l'œuvre, Thierry, cet ami des beaux quartiers de l'adolescence, tragiquement disparu à 18 ans. Puis Charles Cahier, le grand-oncle maternel de l'auteur, mort sur le champ d'honneur durant la Première Guerre mondiale et dont, en des pages habitées d'une troublante empathie, Mitterrand laisse à penser que, plus que de la guerre, ce garçon trop beau et trop doué fut d'abord victime des préjugés de sa classe. Enfin, Andrea et Geronimo, acteurs d'un film italien oublié des années 1950 narrant l'amitié entre deux adolescents dans la Rome de ces années-là. Frédéric-Mitterrand les a aimés longtemps sans qu'ils le sachent, avant de les retrouver, l'un en Italie, l'autre en Australie, dans le flamboiement incertain de leur crépuscule à tous trois... Alors bien sûr, « ce sont amis que vent emporte », c'est si beau et triste que Frédéric Mitterrand soit parti avec eux.