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Fréquentez-vous les biblibrairies ?

La librairie associative Books 4 Life avec Ron Heeneman, hébergée dans une bibliothèque amsterdamoise. - Photo Fanny Guyomard

Fréquentez-vous les biblibrairies ?

L'une a pour mission de mettre à disposition des livres gratuitement. L'autre les vend à ses clients. Mais bibliothèques et librairies peuvent s'associer jusqu'à cette symbiose : partager le même bâtiment, voire les mêmes locaux. Un modèle à suivre ?

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Par Fanny Guyomard
Créé le 12.06.2024 à 11h35

Des livres à emprunter dans une librairie ? Un mélange des genres que pratique la librairie des Enfants - New York French Children's Books, contre un abonnement (payant) à la petite bibliothèque du fond de sa boutique. Les familles américaines peuvent y emprunter jusqu'à 15 livres pour 12 $ par mois - et obtenir une réduction pour l'achat de livres. Une offre complémentaire à celle des bibliothèques locales, qui proposent peu de bouquins en français.

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Médiathèque François- Mitterrand - Les Capucins.- Photo MICHEL COQUIL/BREST METROPOLE

 

Autre librairie française à l'étranger, Carnets d'Asie est située au sein des locaux de l'Alliance française de Bangkok... sous la bibliothèque logée à l'étage. Pour cette dernière, c'est une aubaine de commercer avec un libraire qui peut négocier les prix avec son distributeur français. Et pour le libraire, la médiathèque est une cliente de taille. Plus qu'une concurrente : les visiteurs qui n'ont pas le budget pour acheter un livre l'empruntent. Quant aux francophones de passage dans la capitale thaïlandaise, ils ne peuvent se permettre d'emprunter un livre à la médiathèque pour un long terme... « Nombre d'expatriés ne sont qu'acheteurs de livres », ajoute Olivier Jeandel, propriétaire et directeur de la librairie. Reste qu'« un bon tiers des visiteurs fréquente les deux espaces ».

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La librairie associative Books 4 Life avec Ron Heeneman, hébergée dans une bibliothèque amsterdamoise.- Photo FANNY GUYOMARD

En venant à l'Alliance, les visiteurs font d'une pierre deux coups, voire plus : suivre un cours de français, consulter un manuel à la bibliothèque, acheter un roman pour leur propre bibliothèque en prenant un café au bar avant d'assister à une projection... « On fait partie d'un ensemble culturel avec médiathèque, cinéma, auditorium... Chacun profite de la présence de l'autre, pour rendre un service complet », résume le libraire. L'Alliance lui octroie un loyer relativement bas et, en échange, la librairie promet des petits prix pour les manuels vendus aux étudiants. Il le dit à nouveau : « Chacun y trouve son compte. » La librairie partage également son accès aux données Dilicom avec la bibliothèque, qui lui passe commande à travers la base. Et quand un auteur est invité à l'Alliance, la librairie installe son stand dans la médiathèque (voire au restaurant), qui propose un espace plus vaste.

Et germe l'idée de déménager la librairie dans la médiathèque... « Dans ce cas, il y aurait une coopération à imaginer, il faudrait être inventif sur la conception de l'espace pour ne pas que les lecteurs soient déstabilisés et pour qu'ils soient satisfaits des deux espaces », conclut le libraire, qui appelle « collègues » les bibliothécaires.

Multiplexes culturels

La tendance est à construire des pôles culturels municipaux avec médiathèques et école d'art, auxquels vient parfois s'ajouter un bar privé, et se conçoivent également des centres culturels mêlant musée, bibliothèque et librairie. Sur le site François- Mitterrand de la Bibliothèque nationale de France, la librairie propose de prolonger en livres une exposition ou un colloque, mais aussi les collections de la bibliothèque, en proposant les publications des Éditions de la BnF et une borne pour imprimer des images numérisées par la BnF. Même trio au Centre Pompidou ou au Carré d'Art - Musée d'art contemporain de Nîmes. Ou au tiers-lieu brestois les Ateliers des Capucins, qui concentre une bibliothèque, un théâtre, un cinéma, le centre national des arts de la rue, une galerie, une salle d'escalade, un restaurant, des boutiques... dont la librairie des Curiosités de Dialogues. « Nous avons en effet cherché une proximité avec la médiathèque, considérant que nous avions des publics en commun. On avait tout intérêt à créer une synergie, et il n'y a aucune concurrence », présente la libraire Cathy Jolivet. « Notre relation profite au public. Une médiathèque et une librairie dans le même bâtiment, cela donne une coloration aux Capucins. Les gens viennent vivre une expérience totale, prendre le goûter dans le restaurant, jouer sur la place et explorer la médiathèque », relève pour sa part Frédérique Morice, responsable de la médiathèque François Mitterrand - Les Capucins. Un bar à jeu s'est récemment ajouté à l'ensemble. Obligeant la médiathèque à réduire la voilure de sa ludothèque ? « Non, nous proposons des offres complémentaires : le bar est ouvert le soir, nous le dimanche. Comme pour la librairie, c'est un cumul : ceux qui lisent beaucoup de livres en achètent aussi. » Parmi les clients de Dialogues : les bibliothécaires eux-mêmes !

Une juste entraide

Mais une bibliothèque publique, dans un souci d'équité, doit prendre garde à ne pas trop privilégier un commerce privé par rapport à un autre. À Amsterdam, la municipalité a réglé cette question d'une possible préférence déloyale en offrant une place de choix à une librairie cette fois associative, Books 4 Life. Un trait au sol et une pancarte indiquent simplement qu'on entre dans un autre territoire. « La bibliothèque nous héberge gratuitement dans cet espace qui était libre », remercie Ron Heeneman, le bénévole à la tête de cette organisation. 

À Brest, la librairie Dialogues paie son loyer... « Et la librairie des Curiosités n'est pas notre succursale de proximité, nous travaillons avec d'autres librairies de la ville », souligne Frédérique Morice. Reste que la relation est privilégiée. Les deux partenaires organisent par exemple des visites des réserves patrimoniales de la bibliothèque, débutant et se concluant dans la librairie. La découverte des alguiers (l'équivalent des herbiers, mais pour les algues) de la médiathèque a ainsi été l'occasion pour le commerçant de montrer ses carnets artisanaux aux visiteurs. Et la librairie fait de la publicité pour la médiathèque. « Cela nous permet de toucher des clients de la librairie qui ne viennent pas en bibliothèque », loue Frédérique Morice. Rejointe par Cathy Jolivet : « On vient faciliter la communication autour des événements de la médiathèque. On s'entraide. Quand on fait venir un auteur, on demande par exemple à la médiathèque de nous accueillir dans notre auditorium. Plus généralement, notre réseau de librairies travaille avec celui des médiathèques pour animer culturellement la ville. Nous partageons la volonté d'offrir une programmation accessible à tous. »

À Austin, au Texas, ce sont les bibliothèques elles-mêmes qui gèrent, avec l'aide de bénévoles, une boutique de 5 000 m2 d'objets d'occasion, Recycled Reads. Ce qui leur permet de désherber vingt tonnes de documents chaque mois. Et l'idée est moins de faire du profit que d'encourager le recyclage, grâce à des prix intéressants - les livres (ou boîtes vides de CD) sont vendus entre 25 cents et 2 dollars. Un concept qui se retrouve en France, lors de braderies durant lesquelles les bibliothécaires jouent occasionnellement les libraires. Une posture pas toujours comprise par les agents publics, les habitants ou les élus. « Mais c'est entré dans les mœurs. On se sépare de documents qu'on ne garderait pas dans une perspective de développement durable, de seconde main, nous partage une bibliothécaire. Nos documents ne sont pas récents, donc nous ne faisons pas concurrence aux libraires... qui sont nos premiers clients dans nos braderies, à titre personnel ! Mais faisons-nous concurrence aux bouquinistes ? » Certaines bibliothèques préféreront faire des dons à des associations, fondations et entreprises de l'économie sociale et solidaire, lesquelles ont droit de les vendre ensuite, comme l'a précisé la loi de décembre 2021 relative aux bibliothèques.

Dans tous les cas, impossible d'atteindre une parfaite équité et de s'extraire d'une posture marchande. Les bibliothèques empruntent d'ailleurs au marketing des libraires, en cherchant à rendre leur offre appétissante, à coups de jeux de lumière, de livres de face et d'animations similaires à celles proposées en librairie. « Je m'inspire beaucoup de la librairie des Curiosités sur leur manière de présenter leurs documents, avec humour et fantaisie, ce qui rend leur offre attractive », témoigne d'ailleurs la bibliothécaire Frédérique Morice. Conquise.

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