7 NOVEMBRE - ESSAI France

Karl Laske- Photo JULIEN FALSIMAGNE/STOCK

"Pagherete caro, pagherete tutto." Vous paierez cher, vous paierez tout. A qui s'adressait ce qui fut, au tournant des années 1970 et 1980 (surtout après l'attentat en gare de Bologne et l'assassinat d'Aldo Moro), le mot d'ordre de l'extrême gauche radicale italienne ? C'est peut-être pour répliquer à cette question, qui fut celle de toute une génération et qui implique une multitude de réponses, que Karl Laske s'est plongé dans le fleuve terrible de ces années que l'on dit de plomb. Cela au moins autant que pour essayer d'en "finir" avec le cas Cesare Battisti (même s'il apparaît très vite au fil de la lecture que l'un est, au fond, la métaphore de l'autre).

Journaliste à Libération, puis à Mediapart, Karl Laske est sans doute l'une des plus fines plumes enquêtrices de la presse française. Ses livres sur François Genoud (Le banquier noir, Seuil, 1996) ou l'affaire Clearstream (Machinations, avec Laurent Valdiguié, Denoël, 2006) font toujours autorité. Celui-ci ne devrait pas faire exception à la règle.

D'abord parce que, sans que l'on puisse décemment écrire que Laske instruit son dossier à charge, la figure de "saint et martyr" de Cesare Battisti en sort méchamment abîmée. Avant de se pencher sur ce qui constitue son "affaire", la demande d'extradition de l'Italie, son exil, parisien et aujourd'hui brésilien, le journaliste s'attache d'abord aux faits, sans oublier de les replacer dans le contexte de ces années-là. Et à la question à laquelle Battisti n'a répondu par la négative que bien après qu'on l'a lui ait posée : a-t-il tué ?, la réponse que donne Laske ne paraît, elle, pas devoir souffrir de contestation... De même, preuves à l'appui, il révèle que Battisti a été exclu dès 1983 (par une lettre signée du directeur adjoint du cabinet du garde des Sceaux de l'époque) de "la doctrine Mitterrand" d'accueil des activistes italiens derrière laquelle se sont toujours retranchés l'auteur de polar et ses soutiens français.

Au-delà pourtant de la trajectoire de Cesare Battisti, La mémoire du plomb est d'abord un grand livre d'enquête en ce qu'il interroge les limites et les errements de la "geste romantique" qui prévaut encore parfois autour des soldats perdus de l'ultra gauche italienne et de la lutte armée. Il raconte comment, dans la myriade de groupes et groupuscules qui la composèrent (parmi lesquels les Pac, prolétaires armés pour le communisme, auquel Battisti s'affilia), les "politiques" et les "intellectuels" durent rapidement s'effacer au profit des "hommes d'action" qui en tenaient plus pour Robin des bois que pour Trotski ou Gramsci... Et c'est ainsi que, peu à peu, l'instrumentalisation de l'idéologie trouva refuge dans la délinquance de droit commun. Cette histoire-là, celle de cette "guerre civile de faible intensité" qui déchira un pays le temps qu'une génération fasse le deuil de sa jeunesse, n'en fut pas moins, jusque dans son dévoiement, exemplaire. Karl Laske nous la restitue dans tout son éclat et sa violence.

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