Du rang - tenir le sien, en sortir - : c'est la problématique des membres de la famille de notables typiquement française, d'une fratrie de la bourgeoisie parisienne née dans les années 1940 dont Caroline Sers suit la trajectoire sur les cinquante dernières années, dans ces Belles espérances qui sont comme une suite aux Petits sacrifices (Buchet-Chastel, 2008) qui couvrait la première moitié du XX^e siècle.

Dans la famille Bouillard, demander d'abord Charlotte, qui depuis que son mari chef d'entreprise est mort régente son petit monde de son appartement du 7^e arrondissement. Ses fils de 25 ans, jumeaux mais aussi différents que possible, la vouvoient et lui donnent du « oui, mère » : Fabrice s'apprête à reprendre les rênes de l'usine, et Pierre, étudiant en droit, vient d'avoir un fils. Nicole, leur sœur étrangement effacée, vit encore chez leur mère. On les retrouve ensuite à intervalle régulier, tous les cinq ans à partir du printemps 1968, un parti pris narratif qui donne une saisissante sensation de vitesse : entre-temps, des enfants naissent, deviennent adultes, les couples se forment, se défont. On déménage. On tombe malade. On meurt. Chaque génération rompt avec plus ou moins de révolte avec la précédente. Adhère avec plus ou moins de docilité aux valeurs de son éducation et de son milieu. C'est une chorégraphie des rêves et des désillusions, des sacrifices et des espérances comme dans Le bal d'Ettore Scola que le fils adolescent de Fabrice va voir avec son cousin en 1983 dans un cinéma du Quartier latin. Le roman saisit ce mouvement singulier et collectif avec de discrets marqueurs d'époque (vocabulaire, prénoms, détails vestimentaires...). En fine observatrice de la psycho-sociologie de la vie familiale, la romancière saisit aussi, mine de rien, ce fond de l'air aux couleurs changeantes, qui du rouge au jaune restent furieusement vives.