C'est un très court texte, un peu plus de cinquante pages : Habitante des jardins(1). L'écrivain suisse de langue allemande Gerhard Meier y rend hommage à sa femme, Dorli, morte en 1997 après soixante ans de mariage. Paru en 2005 chez Suhrkamp, le petit livre paraît cette rentrée chez Zoé alors que Gerhard Meier vient à son tour de mourir, le 22 juin, âgé de quatre-vingt onze ans.
Dorli, issue d'une famille piétiste, avait été monitrice de l'Ecole du dimanche, conseillère de paroisse et tenait le kiosque de la petite commune où vivait le couple, dans cette campagne du Jura suisse qu'ils n'ont presque jamais quittée. Gerhard, après une première une période d'écriture, avait travaillé comme architecte puis designer dans une fabrique de luminaires. A l'âge de cinquante-quatre ans, pourtant, il renoue avec la littérature et publie des poèmes, des « petites proses » - genre auquel appartient Habitante des jardins – avant de signer une trilogie qui retient l'attention de Peter Handke et lui vaut de nombreux prix : L'île des morts, Borodino et La ballade de la neige (1979-1985), conversation sous forme de tapisserie où se répondent deux amis : Baur le libertaire, romantique réaliste et rebelle, toujours confronté à son complice Bindschädler, rêveur et philosophe. La littérature, l'art et toutes les agitations du monde, subtilement, non sans malice, s'invitent dans cette œuvre méditative reprise en un volume chez Zoé sous le titre : Baur et Bindschädler (1993).
Bindschädler étant mort, Baur conclut seul la trilogie dans Terre des vents (1990 ; Zoé, 1996). On y retrouve la Russie, Tolstoï, Caspar David Friedrich, Israël… mais aussi la nature, les parfums, les songeries et les silences de la Suisse profonde.
Peter Handke, lorsqu'il obtint le prix Kafka en 1979, remit à Gerhard Meier la moitié de la somme. «La narration de Meier est douce comme celle de Stifter, écrit-t-il. Elle circonscrit, encercle, répète et varie, elle s'attache au geste, au regard, au son, suit le cours des choses soi-disant insignifiantes, les choses de la nature ». Ajoutant aussi : « Ces narrations ne font pas uniquement apparaître la loi naturelle, elles sont souvent critiques, s'insurgent violemment contre beaucoup d'objets, de constructions, de machines, de structures politiques ou sociales de la vie contemporaine (…) Meier a une manière toute naturelle de parler de l'existence et de sa paix. La mort, la disparition des amis, la présence de l'épouse, le jour, la nuit, il est impossible de raconter cela sur un rythme rapide. Chez Gerhard Meier la lenteur n'est pas une idéologie mais un rythme respiratoire ».
Meier, dans Habitante des jardins, dialogue, cette fois, avec Dorli disparue. Il parle de sensations discrètes, d'images furtives : « Les vers luisants, les heures entre hirondelles et chauve-souris, la gare de Lyon-Perrache, l'art de laisser advenir les choses et le besoin de rentrer immédiatement ». Il redit aussi les paroles prononcées aux obsèques de celle qu'il aimait : « Je remercie tous les jours le Seigneur de ce que toi et moi nous avons pu rester ensemble soixante ans. M'incline en raison de l'écriture, dont Il m'a en quelque sorte gratifié ».
Et le poète conclut par un passage de saint Paul qui semble leur testament commun : « Nous supportons avec beaucoup de patience les souffrances, les détresses, les angoisses ; on nous attriste, et pourtant nous sommes toujours joyeux ; nous paraissons pauvres mais nous enrichissons beaucoup de gens ; nous paraissons ne rien avoir, alors que, en réalité, nous possédons tout ».
(1) Habitante des jardins, de Gerhard Meier. Traduit de l'allemand (Suisse) par Marion Graf. Zoé, 60 p. 10 euros. ISBN : 978-2-88182-626-9. Sortie : 29 août.